Salut tout le monde! Cette petite histoire fait suite à la création du personnage de Oliver, alias l'hybride malgré lui.
C'est une petite fiction en deux parties qui expliquera le basculement de sa vie dans la rébellion hybride. Elle prend donc place pendant la guerre entre les puristes et les non-purs, juste après la contre-attaque à Aust.
Sur ce, j'espère qu'elle plaira à quiconque la lira
ELLE COURT, ELLE COURT, LA BELETTE DE EWILEM!
"BAM ! Triple six ! J'vous démonte tous ! C'est qui l'patron maintenant, hein ? C'EST QUI LE PATRON ?!"
"Ferme ta grande bouche Oliv' ! Tu vas alerter tout Amarok !"
"Roh eh, si on peut même plus s'amuser..."
Mais Oliver ne se renfrogna pas pour autant. Il engloutit d'une traite le contenu de son verre et empocha tout le butin posé au milieu de la table, sous les yeux noirs de ses camarades de jeu. A l'entente de son cri, les autres joueurs et buveurs aux tables d'à côté s'étaient retournés, l'air effaré greffé au faciès, mais en comprenant que c'était encore le petit rouquin qui faisait des siennes, ils vaquèrent de nouveau à leurs occupations clandestines. Oliver rejeta sa tête vers l'arrière et huma cet air grisant de l'interdit et de l'amusement. Tous ces shapeshifters, étaient réunis dans cette pièce sombre creusée dans le sol, sous la demeure de l'organisateur, un sanglier pas farouche. C'était la planque. C'était ainsi que les connaisseurs l'appelaient. Les seuls qui connaissaient ce lieu de débauche où l'on buvait, jouait et écoutait de la musique digne de ce nom étaient bien sûr tous les uniques membres de ce club secret.
Enfin, au départ, l'association n'était pas secrète, loin de là. Elle était même très connue dans Ewilem ! Même certains politiciens s'y rendaient parfois, mais jamais ne pourraient l'avouer. Et si ses membres n'étaient pas allés aussi loin en manquant de faire flamber la ville l'année passée, le club serait encore public. Certes, Oliver ne jurait pas qu'il n'avait rien à voir dans cette histoire de séance-bûcher, mais tout de même ! C'était assez drôle, ce temps où les fêtes qui s'y déroulaient découlaient dans les rues jusqu'à réveiller tout le quartier. Mais il ne se plaignait pas. Maintenant que le club était interdit par les autorités, les réunions se déroulaient à l'abri des regards, en pleine nuit, et enfoui sous terre. Et il régnait ce petit air de trépassement des limites qui enhardissaient les fidèles du groupe. Et c'était ça que Oliver adorait. Il avait toujours adoré ça, en fait. Depuis sa petite enfance à aller piocher dans la boîte à gâteaux de sa mère pendant qu'elle regardait ailleurs. Mais ici, il fallait dire que les enjeux étaient bien plus costauds.
Alors voyons voir, qu'avait-il gagné cette fois-ci au jeu de dés ? Des pièces d'or, des babioles quelconques qu'il se ferait un plaisir d'échanger contre de nouvelles chaussures toutes neuves, mais surtout, un superbe pendentif terminé par une bille en nacre. Les yeux bruns du garçon s'illuminèrent. Quelle bonne affaire. Décidément, il avait bien fait d'échanger les dés contre des truqués juste avant son tour. Il glissa tout ce beau petit butin dans sa poche et accrocha le collier autour de son cou. Il avait fier allure ainsi. Il était sûr qu'en l'arborant devant la jolie loutre dans le coin, il pourrait repartir avec elle cette nuit.
Au dehors, la ville s'agitait et l'on parlait d'un parcage des hybrides aux périphéries, mais pour Oliver, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Il vint voir son amie-daim Mala assise au comptoir et déboutonna les premiers boutons de sa chemise pour lui montrer sa poitrine ornée de la perle de nacre avec fierté.
"Eh ! Mala ! Regarde-moi, j'suis pas beau comme ça ?"
Mala lorgna le torse du rouquin avec un sourcil levé, le nez dans son verre.
"T'as surtout toujours pas un pète de poil sur le torse mon pauv' gamin" commenta-t-elle nonchalamment.
"Mais on s'en fout d'mes poils, j'en ai déjà plein quand je suis belette ! Protesta Oliver, même s'il complexait bien sûr à propos de cette absence douteuse. Mate-moi plutôt ce bijou. La classe, non ? Eh Mala ! Tu m'écoutes, dis ?"
"Hein ?"
Oliver soupira et s'assit à côté d'elle. Certes Mala pouvait se montrer assez dédaigneuse et désintéressée quand elle n'était pas dans ses humeurs, mais que pouvait-il bien lui arriver ce soir ? Il n'y avait rien de mieux qu'une petite fête au chaud alors que le vent hurlait au dehors. Le regard dans le vague, la jeune femme lâcha :
"Je vais quitter Ewilem."
Oliver avala sa gorgée de travers. Après avoir calmé sa toux, il s'écria :
"Quoi ? Nononononon attends ! Tu peux pas me faire ça ! On est copains depuis si longtemps ! Et puis c'est toujours cool de se retrouver ici avec les autres, hein ? Me dis pas que t'aimes plus ça !"
"Mais Oliver bordel y'a que ça dans ta petite cervelle de moineau ?"
Oliver croisa les bras et se tassa dans sa chemise. Oui, bon, il n'avait pas inventé l'eau en poudre, mais il n'appréciait pas trop qu'on le traite d'abruti. Surtout lorsque cela venait de ses proches. Mais Mala, fidèle à elle-même, s'en foutait royal, et poursuivit :
"Ca devient la merde. Vraiment. T'es pas encore plongé de ce domaine, mais je te rappelle que j'ai des gosses. Trois p'tits faons qui m'attendent chez moi. Et même en étant purs, ça craint pour nous. Les armées hybrides de Aust ne vont pas tarder à débarquer, et ça va tomber sur notre gueule."
"Mais relax ! Soupira Oliver. Rainyd ne va pas laisser tomber la ville. Et ce mec est terrifiant. Ca m'étonnerait que..."
"Si tu écoutais un peu plus les nouvelles, tu saurais qu'une grande partie de son armée s'est fait massacrer à Aust la semaine dernière. Je ne crois pas qu'on devrait tenir ces infos à la légère."
Elle se leva, sous les yeux consternés de Oliver. Elle soupira et posa une main amicale sur son épaule.
"T'inquiète pas, va. On se reverra. Je pense aller à Varkens avec les mômes. T'auras qu'à venir nous faire un coucou."
Et elle disparut. Oliver n'ajouta rien, et se contenta de se resservir un verre. Ses pensées couvrirent le brouhaha dans la salle bondée. Il ne pensait même plus à son pendentif. Ni même à la jolie loutre. Les mots de Mala résonnaient dans sa petite caboche toute vide d'idées politiques et sociétales. Ses yeux descendaient sans le vouloir vers ses pieds enfouis dans des chaussures.
Quand Oliver avait revêti cette fausse identité de pur, il était persuadé que l'on le laisserait tranquille pour toujours. Les Purs avaient le pouvoir. Les Purs étaient en haut de l'échelle. Les Purs étaient respectés. Jamais il n'aurait goûté à tous ces plaisirs durant sa jeunesse débordante s'il avait affirmé sa véritable ethnie. Mais aux mots de son amie, il prit conscience qu'en ce temps de guerre, que jusqu'à maintenant il n'avait pas réellement considéré, tout pourrait basculer d'une seconde à l'autre. Il adorait les imprévus, là n'était pas le problème, il prit seulement peur que son petit bonheur s'effondre du tout au tout.
Il ne pensait pas que cela arriverait si vite.
Un énorme fracas couvrit le son des guitares et du saxophone. Des cris fusèrent. Des tables se renversèrent. La musique s'arrêta.
"TOUS LES MAINS SUR LA TÊTE !"
Personne n'obéit. Tous les petits se transformèrent à la hâte pour se glisser dans les trous de secours. La milice de Ewilem déferla comme une vague sur le groupe de fêtards. Il y eut un homme à terre. Il y eut des coups de baton sur les têtes qui dépassaient. Il y eut des hurlements, il y eut pleurs, il y eut chaos. Oliver, l'esprit embrumé par la sève de pin, s'était prépcipité vers les trous de souris sans penser à se transformer de suite. Ses mains avaient à peine rétréci qu'on le saisit aux bras et le plaqua à terre. Sa tête cogna contre le sol et son front gicla. Il tenta de se débattre mais c'était peine perdue. Il ne voyait que le sol et des pieds le fouler. Il hurla qu'on le lâche. Toute entreprise était vaine. Du sang dégoulinait de sa tempe. Il se tortillait, geignait, insultait. Mais surtout, il ne comprenait rien.
Les bruits s'atténuèrent. Soudain, on le redressa, les bras coincés en croix derrière son dos. Oliver vit nombreux de ses camarades de jeux ligotés par les miliciens. Certains restaient silencieux, d'autres pleuraient, et d'autres encore empruntaient dans leur vocabulaire le plus fleuri pour les insulter. Ca puait la mort. Dans la panique, tout le monde avait renversé les tonneaux de sève, et les effluves s'en échappaient pour monter à la tête de ceux qui l'inhalaient. Les tables étaient jetées à terre. Les cartes étaient déchirées et tous les verres brisés. Quand Oliver revint tout-à-fait à lui, il prit conscience de la merde dans laquelle il était plongé. Il tâchait tout de même de relativiser. Il fréquentait un bar clandestin, bon. Au pire, il risquerait d'être viré de la ville. Il n'y avait pas trop de poblème à cela : il n'aurait qu'à mettre les voiles pour Varkens avec Mala. D'ailleurs, où était-elle ? Avait-elle réussi à s'éclipser avant que les poulets ne débarquent ?
Un homme, probablement le chef de toute cette joyeuse bande de casseurs d'ambiance, s'approcha, une épée à la ceinture. Il lorgna chacun des captifs avec dédain.
"Tsst. Avec un peu moins de barouf, votre bar aurait pu tenir un peu plus longtemps."
Oliver songea à toutes ces fois où il avait beuglé pour célébrer ses victoires aux jeux. En y regardant de plus près, il connaissait bien cet homme. Quand il l'avait connu, il n'était pas encore chef de patrouille. C'était un pur-grizzly dont le beau-père était membre du Conseil. Une espèce de petit m'as-tu-vu qui pétait plus haut que son cul, selon Oliver. Jakob qu'il s'appelait. Ce dernier ordonna à sa troupe d'emmener tout ce petit monde aux cachots de la ville. Oliver fut soulagé de ne pas passer par la case 'torture'. Et il avait entendu dire qu'il était aisé de s'en enfuir si l'on était suffisamment petit pour cela. Il bénissait souvent sa forme animale, il fallait dire.
Les deux babouins qui le tenaient s'apprêtaient à partir avec lui à leur tour quand Jakob croisa le regard de Oliver. D'un mouvement de la main, il arrêta ses sous-fifres et se pencha vers ce petit homme au visage constellé de tâches de rousseur qui lui jetait des regards haineux. Jakob se mit à rire.
"Je te connais toi" dit-il.
"Mef. Je suis assez connu" lâcha Oliver en lançant un regard vers le ciel.
"C'est toi qui as organisé un combat de dindons clandestin dans la salle du Conseil."
Oliver haussa d'abord les sourcils, puis, se remémorant l'évènement, ne put s'empêcher d'éclater de rire.
"Oh ouais haha ! C'était mortel."
"Héhé, tu vois, je n'oublie jamais un visage. Ton nom c'est Oliver, c'est ça ?"
Son ton était amical. Il souriait de toutes ses dents de carnivore. Alors le rouquin ne put s'empêcher de partager son ton de la rigolade et de lui sourire à son tour.
"Ouep" répondit-il.
"Parfait, alors. Héhé... Déshabillez-le."
"Qu... ?!"
En deux temps trois mouvements, on lui arracha sa chemise, sous les regards interloqués et apeurés des derniers prisonniers qui restaient dans la salle. Habituellement, Oliver aimait bien ce genre de mise en scène, mais bizarrement, cette manière-là ne lui convint pas du tout. Il cria qu'on arrête. Mais c'est lorsque l'on le renversa au sol et que des paires de mains s'approchaient de ses chaussures qu'il se mit à hurler et à donner des coups à droite à gauche. Mais rien à faire, ses pieds apparurent à l'air libre. Jakob sourit de toutes ses dents.
"J'avais toujours eu un doute sur ta bonne foi, Oliver."
Lorsqu'à la vue de la corne noire à la plante de ses pieds le monde entier sut qu'il était hybride, Oliver sentit son intimité violée. Toute sa vie il avait réussi à cacher sa véritable identité. Toute sa vie il était parvenu à protéger l'intérieur de sa carapace, tout ce qui le rendait vulnérable au monde. Son cœur battait la chamade et il suait à grosses gouttes. Son visage autrefois si lumineux et enchanteur perdit toute couleur à mesure que les grilles du ghetto hybride s'approchait. Il était fini. C'était fini. Fini la vie de cocagne. Fini la vie de jouissance et de fête. Sa vie allait finir tout court. Il fut jeté dans la boue à l'entrée du quartier parqué, et les grilles se refermèrent derrière lui. Il se releva promptement, le visage dégoulinant de terre et de sang, et jeta un dernier regard vers sa liberté laissée derrière le portail du ghetto.
A SUIVRE