Legend of Shapeshifters
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 Le poète et le vaurien

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Elv
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MessageSujet: Le poète et le vaurien   Le poète et le vaurien EmptyMer 12 Jan 2022 - 18:05

Le poète et le vaurien
Oliver et Priam




Avril 54



Les montagnes étaient si calmes, si belles ce jour-là. Les nuages parcouraient paresseusement le ciel d'un bleu clair, et les oiseaux chantaient leur amour dans les forêts de conifères. Ou du moins... Les montagnes auraient pu être plus calmes encore si un cri ne venait pas de déchirer ce silence tranquille.
« NAON ! ARGH ! AÏE AÏE AÏE ! LAISSEZ-MOI TRANQUILLE MERDE ! »
Comment Oliver aurait-il pu savoir qu'en se rendant innocemment chez Priam, il serait intercepté par une horde de gardes emplumés, une bande de Cerbères au bec acéré qui se jetèrent sur lui, le giflèrent de leurs ailes et lui pincèrent les bras, tout en poussant des cris stridents et horribles ? Oliver ne trouva rien de mieux que la fuite d'abord, mais, encerclé de toutes parts par les nuages de plumes, il finit roulé en boule, se couvrant le visage de ses bras, en geignant comme un arachnophobe devant une tarentule.
« Pffiiiiiiiit ! »
Au son du sifflet, les soufflets cessèrent, et le rouquin revit la lumière du jour, embellie par l'apparition de ce visage inquiet.
« Ca va Oliver ? » Demanda Priam en lui tendant la main.
Le rouquin se contenta d'un grognement, trop choqué encore par cette agression emplumée. Il empoigna la main que Priam lui tendait et se releva difficilement. Le blondinet s'empressa de chasser la poussière et les plumes de ses vêtements.
« Je suis vraiment désolé, ajouta-t-il. Elles sont particulièrement agressives depuis leur retour.
-Ah euh ben... C'est pas grave ! Argh ! »
Les oies sauvages, bien qu'écartées et sagement rangées sur le toit de la maison, continuaient à tendre leur cou gonflé vers l'inconnu en lui jetant des poignards par les yeux. De la sueur perla dans le dos de Oliver lorsqu'il prit conscience qu'il devrait affronter les chiens de garde à chaque qu'il voudrait se rendre chez le garçon dont il était amoureux.
« Euh... Parce qu'elles l'étaient pas avant ? Se risqua-t-il en fixant ses adversaires fourbes.
-Pas vraiment. »
Il ajouta d'un air plaintif en se tournant vers elles :
« Elles m'ont ramené un jar de leur migration ! Je n'aime pas dire du mal des animaux d'habitude, mais lui c'est vraiment une teigne... Ohoh, le voilà... »
Oliver ne courut jamais aussi vite devant l'assaut d'un piaf. Mais ce ne fut pas si grave à ses yeux, puisque Priam prit la tangente lui aussi. Ils détalèrent tous les deux dans les bois, poursuivis par le jar en colère, et ne purent s'arrêter que lorsqu'ils trouvèrent refuge dans une petite grotte. Ils s'effondrèrent sur le sol, suant et soufflant comme deux asthmatiques. Oliver sursauta lorsqu'un « crâââââh ! » retentit en écho dans la grotte, mais ce n'était que le corbeau qui venait se poser sur le bras de son maître.
« Et tu ne pouvais pas me défendre, toi ? » Reprocha Priam à son oiseau.
Mais le corbeau ne fit que claquer du bec d'un air satisfait. Le garçon soupira et porta son regard vers Oliver en haussant un sourcil.
« Au fait, lui dit-il. Pourquoi tu es là ?
-Oh ! S'exclama le rouquin. Euh... Euh on m'a dit que tu avais beaucoup de travail en ce moment et qu'un peu d'aide euh... 'Fin voilà tu vois quoi... »
Il s'auto-flagella d'exaspération et maudit ses bégaiements niais et stupides. Priam ne répondit rien pendant un instant. Il le regarda, plongé dans ses pensées, puis haussa les épaules avec un sourire.
« Ce n'est pas de refus je dois dire. Mais j'ai bien peur que tu repartes couvert de bleus si tu t'approches de ma maison encore une fois.
-Aïe.
-Ou sinon... Dis-moi, tu es endurant ?
-Bien sûr !
-Alors je vais changer mes plans. Tu vas m'accompagner en montagne. Je dois m'assurer que le couple de gypaètes barbus a bien survécu à l'hiver. Mais c'est une longue marche, on ne sera pas de retour avant ce soir.
-Aucun problème ! S'exclama Oliver bien qu'il n'ait aucune idée de ce qu'était un ji-pète barbu.
-Parfait ! »
Après un crochet dans sa maison pour récupérer une sacoche de matériel, les deux comparses se mirent en route et prirent le sentier qui montait plus haut dans la montagne. Oliver était resté sous forme humaine, persuadé qu'il serait aussi maladroit que Yaren s'il revêtait ses longues jambes équines. Mais d'un autre côté, l'ascension de la côte fut particulièrement éprouvante, et il ne trouva pas l'énergie de démarrer la conversation avec le garçon blond. Lui au contraire, bien que plus menu que lui, avançait sans peine dans la pente et avec une bonne cadence. Ils mirent plusieurs heures à marcher à travers la forêt et à dépasser les arbres. A une certaine altitude, les deux compagnons de voyage parvinrent aux prairies verdoyantes et suivirent un mince sentier à travers les herbes sauvages. Oliver ne s'était jamais rendu aussi haut dans la montagne et n'avait jamais connu ces mers de verdure qui s'offraient au calme du ciel.
Arrivés péniblement en haut de la crête, ils s'arrêtèrent enfin et s'assirent dans l'herbe. Oliver se retenait de toutes ses forces pour ne pas souffler comme un buffle, bien que ses mollets le fissent souffrir le martyr. Priam lui dit pour le réconforter :
« C'est très gentil de ta part de m'accompagner. C'est plus drôle quand on est deux.
-De... Fiouh... Rien... Fffh... Eructa le rouquin.
-Et maintenant on attend. » Ajouta-t-il en levant le nez vers le ciel.
Et c'est ce qu'ils firent. Ce ne fut pas si désagréable contrairement à ce qu'aurait pu redouter Oliver. Ils étaient juste assis là, dans l'herbe de la prairie et le calme profond de la montagne, à scruter le ciel bleu à la recherche des deux ombres noires. Oliver devait même avouer qu'il savourait les sensations qu'il éprouvait à cet instant, lui d'habitude si impatient.
« Et s'ils ne viennent pas ? Demanda-t-il au bout d'un moment.
-Ce n'est pas grave. Ce sont des animaux très timides, ce serait vraiment un coup de chance de les apercevoir. J'espère seulement qu'il n'ont pas succombé à cet hiver épouvantable. Ils sont si rares. »
Priam jeta un regard amusé vers son compagnon de voyage.
« Tu ne sais pas ce que c'est hein ?
-Pas du tout » admit le rouquin.
Priam rit sans avoir l'air de se moquer, ce qui était un art tout en délicatesse. Ils passèrent de longues minutes à étudier la question. Priam offrit son bras comme feuille de dessin pour représenter le bel oiseau sous les traits de son fusain. Oliver écoutait ses explications très sagement, comme un bon élève, hochant la tête à chaque fois que son professeur lui jetait un regard.
« … Et la particularité de ces vautours, c'est que non seulement ce sont les plus gros que l'on puisse trouver, mais en plus, ils se nourrissent d'os et non de chair. Par exemple, ils prennent le fémur d'un mouflon, l'emmènent dans les airs et le lâchent pour qu'il se casse et qu'ils puissent consommer la moelle. »
Oliver regarda le blond avec des yeux écarquillés. Il balbutia :
« Tu es... Vraiment un puit à science.
-Haha ! Non, c'est juste ma passion. Il y a beaucoup de choses que je ne sais pas.
-Oh non crois-moi, répliqua Oliver en levant les yeux au ciel. T'es bien plus intelligent que tous les marioles que j'ai rencontrés dans ma vie. Réunis.
-Flatté. »
Il s'étendit sur le dos en calant ses mains derrière sa tête. Sur sa poitrine était posé son appareil pour regarder au loin (qu'il appelait jumelles) et son regard était rivé vers le ciel. Oliver fit de même en calant sa respiration au souffle de la brise. Etendus ainsi, Oliver se sentait beaucoup plus à l'aise et à sa place, prêt à discuter librement avec le garçon aux cheveux d'or.
« Comment tu as rencontré Elv au fait ? Lui demanda-t-il pour engager la conversation.
-Ce sont mes parents qui l'ont rencontrée avant moi. Ils l'ont secourue aux abords du quartier sectaire quand elle s'y faite agresser. »
Oliver siffla d'admiration.
« Elv m'a présentée à ta mère la semaine dernière. Tes parents ont l'air d'être des gens vraiment incroyables. »
Son cœur rata un battement. Il se mordit la lèvre.
« Je... Pardon. »
Il y eut un silence qui sembla durer une éternité. Priam finit par le couper en soufflant doucement :
« Honnêtement Oliver, ne t'excuse pas. Je pense que tu es l'une des personnes les plus légitimes de me parler de mon père.
-Pourquoi ? » S'étonna Oliver en se redressant sur ses coudes.
Il jeta un regard vers Priam, lui toujours allongé et les yeux pensifs tournés vers les nuages.
« Tu as perdu tes parents, se justifia-t-il.
-Oh ça ! Je ne suis pas sûr qu'on puisse faire la comparaison...
-Elv m'a dit que vous aviez une très bonne mère pourtant.
-Pour notre mère je ne dis pas. Mais notre père à nous était une ordure de première. Je dis pas qu'il méritait de mourir bien sûr, mais je vais pas déblatérer des conneries comme quoi c'était un mec bien et qu'il laisse un grand vide dans nos cœurs. Parce que c'est faux. »
Priam se redressa à son tour sur ses coudes et questionna du regard le rouquin.
« Ca je ne le savais pas, lui dit-il.
-Haha ! Tu pensais qu'on était la petite famille de belettes parfaite ? Non, lui c'était un poivrot. Il ne venait jamais nous voir, ni nous aider quand on en avait besoin. On pouvait pas compter sur ce type-là, il nous a attiré que des emmerdes.
-C'est à cause de lui si tu es... ? »
Oliver lui répondit, sur le ton de la confidence et couvrant une partie de ses lèvres avec sa main :
« Quand je l'ai découvert j'ai tellement flippé que je me suis pissé dessus. »
Il éclata de rire et Priam le suivit. Parler ou même plaisanter sur sa troisième forme était toujours quelque chose d'étranger pour Oliver, mais ici, il se sentit plus libre de se confier, comme si l'oreille qui l'écoutait pouvait tout entendre de lui sans jamais le juger. Et si cette impression lui apparaissait si forte, c'était bien parce que c'était le cas. Priam le laissa parler de ses souvenirs d'enfance et de ses expériences sous sa forme équine avec attention et bienveillance. Oliver découvrit alors quel était le trésor de la parole qui n'était pas vaine, et celui d'un confident sage. Le blondinet lui exposait son point de vue et son opinion pure d'égalité entre les êtres, de la chance de Oliver d'avoir cette troisième forme sous la main, et de toutes ces aptitudes qu'il pourrait développer grâce à ses quatre sabots.
« Par exemple, est-ce que tu sais ce que ça fait de galoper ?
-Roh. Courir, galoper, même chose...
-Non non, je ne te parle pas de courir avec tes deux jambes. Ni de sautiller avec tes pattes de belette. Je te parle de galoper avec tes quatre jambes. De sentir le vent contre ton encolure, ton sang qui pulse dans tes genoux, ton mufle qui fouette l'air... C'est juste... Une pure sensation de liberté. »
Oliver regarda les yeux de Priam briller d'envie à l'évocation de cette sensation qui lui était inconnue. Être un chevreuil n'était pourtant pas quelque chose que les gens enviaient d'habitude, mais Priam n'était pas comme les autres gens. Il était un être qui ne se plaignait pas des chances qui lui étaient déjà accordées et se satisfaisait de ses quatre petits sabots délicats. Oliver se demanda si ce garçon était tout simplement un éternel satisfait, qui ne se languissait pour rien et ne plongeait jamais dans la mélancolie de manquer quelque chose dans son existence. Mais une intuition lui disait qu'il n'en était rien et qu'au-delà des apparences, tous les deux se ressemblaient.
« Oh mon Dieu ! S'exclama soudain Priam. Oliver, tu es un porte-bonheur !
-Quoi ? »
Le blondinet pointa le ciel du doigt. En plissant les yeux, le rouquin aperçut deux larges silhouettes noires tournoyer sous le plafond bleu. Priam s'empara des jumelles et les colla à ses yeux.
« Comment tu peux savoir que...
-Silhouette. »
Priam lui dégaina son bras griffonné de croquis et Oliver acquiesça avec une petite moue en comparant la forme des ailes.
« De toute façon c'est bien connu, les roux ça porte bonheur... Susurra le garçon.
-Eh bien si c'est le cas je te mets en bocal et je t'embarque dans tous mes voyages, assura Priam toujours concentré sur les jumelles. Ils sont deux en plus ! Ils sont survécu tous les deux ! »
Même s'il ne partageait pas ces émotions de scientifique qui trouvait son spécimen rare, Oliver se sentait réellement content pour lui. Et puis, il fallait dire que c'était un bel oiseau et que leur ballet aérien n'était pas désagréable à regarder. Priam souriait de toutes ses dents et passait des jumelles aux fines écorces sur lesquelles il écrivait des notes que Oliver ne pouvait lire. Il s'appliquait à expliquer à son compagnon de route ce qu'il concluait de l'observation de leurs plumes, de leur allure et de leur vol. Il argumentait sur la valeur de ces connaissances et du cycle dans lequel tous les êtres vivants étaient entraînés.
« Si je t'embête il faut que tu me le dises, coupa soudain Priam. Je ne veux pas te...
-Non ! Non non ! C'est super intéressant ! » Se défendit Oliver en secouant ses mains devant lui.
Priam fit une moue moqueuse qui fit apparaître du rouge sur les joues du rouquin.
« Enfin j'ai l'impression que je suis bien le seul à qui tu peux parler de ça... Se justifia-t-il encore.
-Eh oui, que veux-tu ? Les gens ne sont plus sensibles à la poésie de la nature... Chantonna Priam d'un air mélancolique, puis il ajouta d'un air atterré : Arf, je me mets à parler comme mon père... »
Il se releva avec promptitude.
« Allons-y, dit-il en empoignant sa sacoche.
-Quoi ? Déjà ?
-Je vois que tu t'accoutumes déjà à la montagne. »
Ils reprirent le chemin inverse en discutant avec tranquillité et riant même. Oliver regardait Priam reprendre des couleurs depuis cette fois-là au torrent où il semblait avoir perdu toute force de vivre. Et plus il le regardait, plus il songeait à lui-même. A travers les yeux bleus du garçon, il voyait son image et ses affects, ses manières de croquer la vie et d'aimer les gens. Ce soir-là au banquet d'après-guerre, Oliver avait vu un garçon entouré d'une belle aura de douceur, et s'était laissé transporter par sa beauté. En cette fin d'après-midi, Oliver voyait ce même garçon, plus seulement comme la peinture d'un ange parfait, mais comme un homme comme lui, un être qu'il pouvait aimer non seulement pour son doux visage, mais surtout pour ses paroles et ses idées. Petit-à-petit, Oliver qui n'avait goûté qu'à l'amour du corps, se laissait entraîner dans l'amour de l'esprit.
Priam et Oliver ce jour-là passèrent de simples connaissances à véritables amis.



 Le poète et le vaurien 2666 



Le gypaète barbu, le vautour le plus stylé du monde
Le poète et le vaurien Gypa-p10
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MessageSujet: Re: Le poète et le vaurien   Le poète et le vaurien EmptyVen 14 Jan 2022 - 19:03

Juin 54

Depuis le dernier mois, il ne passait plus un ou deux jours sans que Oliver et Priam ne se voient. Parfois, ils ne se croisaient qu'au détour d'une rue (grâce à une petite pirouette de Oliver toutefois), ou certains soirs, Oliver raccompagnait le blond de l'hôpital jusqu'à chez lui, et les jours de chance, ils passaient toute l'après-midi ensemble. Ces jours-là, Oliver suivait Priam comme son ombre et se tenait prêt et dévoué pour la moindre petite tâche, non pour se faire bien voir, mais plutôt pour trouver toutes les excuses du monde pour passer du temps avec lui. Ainsi, la belette découvrait plus nettement encore le monde du chevreuil, et en était de plus en plus fasciné. Il regardait de loin le garçon s'approcher des ruches et extraire le miel des rayons noirs d'insectes, lui passait les outils lorsqu'il réparait les plumes de ses oiseaux, et réfléchissait avec lui sur de nouveaux schémas de tuyauterie pour arroser son potager, bien que son intellect ne l'aide pas tellement... Il ne voulait pas s'avancer, mais il avait l'impression que plus le temps passait, plus Priam souriait avec entrain, et plus il était joyeux. Mais certains jours, Oliver se devait d'épauler un garçon beaucoup plus terne et renfermé, qui ressassait intérieurement le vide qu'avait laissé le départ de son père. Priam semblait se laisser consoler par Oliver car lui était déjà passé par cette étape. Pourtant, avec tout l'amour qu'il lui portait, Oliver ne se sentait pas totalement légitime de comprendre sa douleur.
Mais par peur d'un faux pas, par peur de perdre le garçon par sa bêtise, il faisait ce que sa vie d'excès ne l'avait pas accoutumé à faire : il savourait chaque seconde passée en sa compagnie.
« Tu sais que quand j'étais ado, je voulais être poète ? Lui raconta un soir le jeune blond.
-Tu es l'archétype du poète, fit Oliver. Pourquoi tu as changé d'avis ?
-J'écris horriblement mal...
-Haha ! Attends, écoute ça : moi à seize ans, je voulais être producteur de sève. »
Priam rit tellement qu'il recracha sa boisson par le nez.
« Bon, je suis pas devenu producteur finalement, poursuivit Oliver. Mais quand même ! J'étais assez proche des fabricants. Comme ça je pouvais tester leurs échantillons. Et les faire passer sous le manteau entre Aust et Ewilem.
-Oli, tu as eu combien de vies ?
-Beaucoup trop. C'est épuisant à force. »
Priam lui faisait souvent raconter ses aventures abracadabrantesques dans l'ancienne capitale, mais Oliver tâchait de taire ses diverses conquêtes, bien qu'il devinât que son interlocuteur était moins naïf qu'il ne le laissait penser.
Une autre chose évoluait et donnait un peu plus d'espoir au rouquin : plus le temps passait, moins les oies sauvages se jetaient sur lui lorsqu'il s'approchait de la maison. Un matin, il eut même la surprise de les voir toutes ensemble assoupies sur le toit avec leur jar, et lui décrocher un regard désintéressé l'air de dire « Voilà encore le p'tit bleu... ». Il en allait de même avec le corbeau, même si lui se montrait beaucoup plus conciliant. Il venait même parfois se poser sur l'épaule d'Oliver pour farfouiller sa chevelure et pincer doucement le lobe de son oreille.
 Le poète et le vaurien 2666 

Ce jour-là, un matin de juin, Priam, chevreuil, était debout au milieu de la cour devant la maison, les yeux fermés. Il se mit à gratter le sol d'impatience.
« Ca y est ?
-Oui oui ça va... »
Priam ouvrit les yeux et se retourna. Il lâcha un « waw ! » qui fit grimacer Oliver. Ce dernier avait aussi quitté sa peau humaine, non pas pour la belette, mais pour l'équidé. Il se sentait ridicule et penaud sur ses échasses.
« Ca y est ? T'es content ? Maugréa-t-il.
-Très content ! »
Priam se mit à tourner autour du pur-sang arabe pour l'observer sous toutes les coutures.
« Je ne vois pas pourquoi tu en as honte, lui dit-il. Tu as des antérieurs solides, une encolure musclée, un bon port de tête, des crins fins...
-Et quand t'auras fini de me reluquer comme un vendeur de bétail, tu vas me dire pourquoi tu m'as demandé de me transformer ?
-Aujourd'hui, on va courir !
-Qu-quoi ?
-Mes parents m'emmenaient souvent souvent courir dans la forêt quand j'était petit. Je trouve que c'est un excellent moyen de se détendre. »
Ils se retrouvèrent ainsi au fond de la vallée, dans la zone déboisée où des paysans laissaient pousser les fourrages pour le prochain hiver. C'était une grande étendue idéale pour cavaler au triple galop. On y voyait souvent des gamins y faire la course. Oliver, même avec son esprit enfantin, ne pensait pas faire un jour partie de l'un d'eux. Priam étira ses postérieurs et fit craquer les vertèbres de son cou. Il lui lança :
« Tu es prêt ?
-Il faut bien... EEEHHH ! ATTENDS TU M'AS PAS DONNE LE DEPART ! »
Priam était déjà parti à pleine vitesse. Oliver n'eut d'autre choix que de s'élancer en ne se fiant plus qu'à son instinct. Il laissa ses longues jambes s'articuler et ses foulées se former. Le choc de ses sabots contre le sol lui donnait des frissons qui remontaient jusqu'à ses genoux. Ses crins s'agitèrent et ébranlés par le vent se dressèrent en étendard derrière son encolure. Il galopait du mieux qu'il pouvait. Priam devant lui jeta un regard derrière son épaule et la vision de ces yeux bleus redonna du courage et de l'énergie au jeune étalon. Il se laissa porter par le rythme effréné de ses foulées et redoubla la cadence. Si bien que bientôt, il doubla Priam. La brise s'infiltrait dans ses naseaux et l'adrénaline lui montait à la tête. Emporté par l'euphorie, sa queue se leva petit-à-petit en panache. Il comprit enfin de quoi le chevreuil parlait à propos du galop sans aucune rêne.
Ils galopèrent ainsi jusqu'au bout du champ, et poursuivirent leur course effrénée dans la forêt. Par-dessus le claquement de leurs sabots grondait le torrent qui se rapprochait d'eux. L'envie de faire le coq prit brusquement Oliver. Il accéléra encore, et arrivé sur la berge, il prit son élan sur un rocher en hauteur et déploya ses antérieurs.
Qui aurait pu douter qu'après s'être si peu familiarisé avec sa forme équine il fasse une chute si spectaculaire dans l'eau du torrent ? Il remonta à la surface comme un dément et se mit à recracher toute l'eau qu'il avait avalée dans son saut raté. Il se retrouva devant Priam, toujours sur la berge, qui le regardait avec de grands yeux ronds. Oliver brailla un « je vais bien ! » avant même qu'il ne puisse ouvrir la bouche, et ils éclatèrent de rire.
« Je ne suis pas sûr que le torrent soit le meilleur endroit pour démarrer le saut d'obstacle, ironisa Priam en lui envoyant une serviette.
-Gnagnagnagna... J'avais un feeling. Ca m'a suffi. »
Ils étaient de retour à la maison. Priam l'avait laissé entrer chez lui pour qu'il puisse se sécher. Le rouquin en profita pour détailler du regard l'étrange intérieur de ce foyer, rempli à ras-bord de bizarreries de l'Ancien Temps, de bocaux, de fioles, de plantes, et de cages à insectes. Mais ses yeux furent attirés par un coin du parquet. Les planches en étaient retournées et griffonnées de dessins et symboles. Priam suivit son regard et consentit à lui montrer sa feuille de dessin improvisée. En vérité, presque toutes les planches de son parquet étaient noires de fusain.
« J'écris ici quand je n'ai plus de papier. » Expliqua-t-il.
Mais Oliver ne trouvait rien à répondre d'intelligent tant il était impressionné par tout ce qu'avait écrit le jeune savant sur ses découvertes et ses observations sur le monde. Il était incapable de lire son écriture et de comprendre les schémas scientifiques, mais il était sûr que tout cela transpirait le génie et les jours entiers de travail et de patience. Pendant que lui se bourrait la gueule dans les bars d'Ewilem, Priam lui réinventait les sciences pour les shapeshifters. Et maintenant que la guerre était terminée et que chacun retrouvait toute la liberté du monde, Priam s'enfermait dans l'hôpital. Quelle tête de pioche !
Ils sortirent devant la maison et s'assirent sur le tronc qui servait de banc le temps que Oliver réenfile ses chaussures, toujours abasourdi par sa découverte. Il se décida enfin à parler lorsqu'il finit son lacet :
« Priam, pourquoi tu ne continues pas tout ça ? Tout ce que tu étudies sur la nature, toutes les sciences que tu reconstitues toi tout seul c'est juste... C'est incroyable ! »
Soudain, le blond redevint terne. Il ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit, et son regard se perdit dans la forêt. Un voile de tristesse recouvrit son visage.
« Je dois être infirmier, souffla-t-il.
-Mais pourquoi ? Insista Oliver. Personne ne t'y force !
-Mais tu ne peux pas comprendre ! C'est comme ça. Mon père est mort. C'était l'un des plus grands médecins de Ewilem. C'est comme ça que je peux honorer sa mémoire, en marchant dans ses pas et en sauvant des gens comme lui il l'a fait. Même s'il n'est plus là, je veux... Je veux me sentir digne d'être son fils. Et ce n'est pas en me terrant dans la montagne et en étudiant la génétique des drosophiles que je le pourrai.
-Tu sais Oliver, je n'ai jamais rencontré Isaac mais j'ai écouté Elv me parler de lui pendant des heures. Et de ce que j'entends, il ne serait pas du genre à te tracer ton propre chemin à ta place. Je pense que même si tu deviens taxidermiste il serait fier de toi. »
Priam pouffa à contrecœur, le regard fuyant. Oliver se rapprocha de lui et lui donna un coup d'épaule.
« Eh. Tu veux que je te raconte un truc ? »
Priam posa sa tête contre ses genoux repliés et hocha le menton avec lenteur. Oliver s'adossa à l'épaule du garçon et leva le nez vers le ciel orangé.
« Quand Maman est morte, pendant une semaine on n'a pas été capables de s'échanger un seul mot, moi, Elv, Vaia et Nathan. Et quand on a pu se parler de nouveau, c'était pas tellement pour se réconforter les uns les autres. C'était pour se taper dessus. Elv était en pleine crise d'adolescence. Vaia étouffait au milieu de nous. Nathan piquait des crises abominables et moi j'étais un vrai gamin. Vaia s'est barrée la première parce qu'elle n'en pouvait plus de faire la mère de substitution. Elv a voulu prendre son indépendance alors elle s'est tirée elle aussi. Je me suis retrouvé seul avec Nathan. Il était complètement déboussolé. Il hurlait, il griffait les murs, il s'arrachait des touffes de cheveux... Et le seul moyen que j'ai trouvé pour le calmer, c'était de partir à notre tour. Et c'était ça, la solution. C'était mon rôle de garder Nathan près de moi parce qu'il est mon petit frère, mais à part ça, on ne devait rien à personne. Si on voulait mettre la clé sous la porte et partir pour voir la mer à Varkens, eh ben on pouvait le faire ! C'est bien la meilleure chose qui nous soit arrivé à tous les deux cette année-là. Parce qu'on s'en foutait, et c'était bien. »
Priam regarda longuement Oliver. Le rouquin le regarda à son tour et d'un mouvement d'épaule lui fit comprendre que c'était à lui de tirer les conclusions de cette histoire. Le blond sourit.
« Depuis le temps que je te connais je ne te l'ai jamais dit Oliver, mais merci. Tu me fais beaucoup de bien.
-Toi aussi tu me fais du bien. »
Son cœur commençait à battre plus fort. La nuit tombait petit-à-petit et les lucioles s'éveillaient dans les fourrées. Un silence paisible s'installa. Oliver sentit soudain un mouvement contre ses jambes et tressaillit. C'était Io, s'il se souvenait bien de son nom et reconnaissait bien sa tache blanche sur la tête, l'oie la plus douce de toute la troupe. Priam se pencha et la prit dans ses bras, et après un instant de réflexion, la posa d'autorité sur les genoux de Oliver. Il frissonna de frayeur.
« Qu'est-ce que tu f...
-Monsieur Oliver, il est temps que vous vous fassiez accepter pour de bon par les habitants de la maison. » Assura Priam avec un sourire moqueur.
Peu rassuré, Oliver cacha ses mains derrière son dos pour ne pas se les faire pincer pendant que l'oiseau s'installait sur ses genoux. Sentant que Io était plutôt calme, il se détendit, et risqua une main sur son plumage. Mais les plumes de Io se hérissèrent. Priam arrêta sa main.
« Les oiseaux n'aiment pas qu'on les caresse, expliqua-t-il. Ils aiment qu'on les embrasse. »
Oliver frémit jusqu'au bout de ses doigts. Priam lui désigna du doigt sur sa propre épaule la base du cou où il fallait enfouir son nez. Oliver lui jeta un regard craintif, hésita quelques secondes, puis timidement, se pencha en avant et enfouit ses lèvres dans le plumage de l'oie. Le bout de son nez caressa la douceur des plumes, et Io ne tressaillit pas une seconde. Durant ce court laps de temps où Oliver relevait la tête, son regard se tourna lentement vers les yeux de Priam puis descendit jusqu'à ses lèvres. Une brume de chaleur les enveloppa, le temps sembla se suspendre. Oliver se redressa petit-à-petit, tendit le cou...
« Les gars ! Les gars ! Ouf ouf ! Zut alors, ça monte pour aller jusqu'à chez toi Priam ! Eh devinez qui... Oh ! Je dérange ? »
Io s'envola des genoux du rouquin. Dans son esprit, Elv avait la tête arrachée, mais Oliver décocha un sourire lumineux à son idiote de petite sœur. Priam se releva et accueillit chaleureusement son amie.
« Elv ! Tout va bien ?
-Oui t'inquiète ! Assura la jeune fille, toute pimpante. Ca me fait ma petit balade du soir ! Rosalie me dit que c'est bon pour moi et le bébé de marcher tous les jours. »
Bougonnant, Oliver s'approcha, les mains enfouies dans ses poches et le pantalon plein de plumes d'oies.
« Bon, qu'est-ce qui t'arrive ? Dit-il en tâchant de prendre le ton le plus neutre possible.
-On vient de recevoir une lettre de Varkens ! Callisto a bientôt fini son bar, elle veut tous nous inviter là-bas pour une fête ! »
La nouvelle redonna le sourire au garçon.
« Elle m'a promis ma place au comptoir ! Clama-t-il.
-Varkens ! Ca fait une éternité que je ne m'y suis pas rendu, fit Priam, rêveur.
-Et comme ça, on ira voir Nathan ! Je dois encore aller porter la nouvelle à Joanna, Shogai, Alphonse, Ambre... Ah elle a fait une liste si longue que je me souviens plus de tous les noms... »
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« Oh merde Oli je suis tellement désolée ! S'exclama Elv alors qu'ils rentraient tous les deux à Ragnok. Je me disais bien qu'il y avait une ambiance bizarre quand je suis arrivée...
-Ca va, oublie. Peut être que c'était trop tôt en fait.
-Oh mon Dieu, mon frère qui fait preuve de patience ! Alors c'est vrai, l'amour change les gens !
-Je t'emmerde espèce de putois.
-Toi-même, gros bourrin. En tout cas Oli, je te suis reconnaissante. Priam va mieux depuis la guerre et je pense que tu y es pour quelque chose. »
Surpris d'abord, Oliver finit par sourire béatement. Elv posa son bras sur les épaules de son frère et l'embrassa sur la joue.
« Je suis fière de toi, Dom Juan. »





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Ra' Aden
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MessageSujet: Re: Le poète et le vaurien   Le poète et le vaurien EmptyVen 14 Jan 2022 - 21:08

AH MAIS J'AVAIS PAS VU !
Roh je les ship tellement, ils sont trop mimi Le poète et le vaurien 725233418 Et j'adooore les oies elles me font trop rire !

Je sais pas pourquoi mais je sens que ça va déraper pendant la soirée à Varkens : radn:
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Elv
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MessageSujet: Re: Le poète et le vaurien   Le poète et le vaurien EmptyVen 14 Jan 2022 - 21:34

Hahaha j'y songe encore  Le poète et le vaurien 1372387614
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MessageSujet: Re: Le poète et le vaurien   Le poète et le vaurien Empty

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