Legend of Shapeshifters
Legend of Shapeshifters

Legend of Shapeshifters

A falsis principiis proficisci
 
AccueilAccueil  RechercherRechercher  S'enregistrerS'enregistrer  ConnexionConnexion  
-45%
Le deal à ne pas rater :
WHIRLPOOL OWFC3C26X – Lave-vaisselle pose libre 14 couverts – ...
339 € 622 €
Voir le deal

 

 Belle comme le jour

Aller en bas 
2 participants
Aller à la page : Précédent  1, 2, 3, 4, 5  Suivant
AuteurMessage
Ra' Aden
Administratrice aux perso débiles
Administratrice aux perso débiles
Ra' Aden


Messages : 2686
Age : 23
Humeur :

Belle comme le jour - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Belle comme le jour   Belle comme le jour - Page 3 EmptyDim 12 Déc 2021 - 16:35

Gneeeee je veux savoar

Aah je comprends le problème x) Continue tant que tu veux je serais présente pour la lecture Belle comme le jour - Page 3 51874024
Revenir en haut Aller en bas
Elv
Membre du panthéon
Membre du panthéon
Elv


Messages : 2048
Age : 21
Humeur : La pêche!

Belle comme le jour - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Belle comme le jour   Belle comme le jour - Page 3 EmptyDim 12 Déc 2021 - 17:46

[ATTENTION : ce chapitre prend des libertés sur l'histoire politique de Ewilem]



Avril 41


« S'il-vous-plaît ! Du silence ! Du silence ! »
Le brouhaha sur la place du marché se calma quelque peu. Toutes les têtes se levèrent vers l'estrade sur laquelle avait grimpé le sénateur, parchemin à la main. Le petit homme dodu se racla longuement la gorge d'un air suffisant, réajusta sa toge et attendit une ouverture dans le vacarme de la place pour y placer ses paroles importantes. Suite à un énième « chut ! », il consentit enfin à parler :
« Bien. Je vais annoncer les nouvelles décisions du Conseil de Ewilem suite à la réunion de ses membres la semaine dernière. »
Il déplia maladroitement le parchemin et l'étala devant ses yeux pour le lire à voix haute :
« Nous avons bien sûr discuté de la circulation des charrettes à poids lourd dans le quartier de l'Arnialuk... »
Sachant pertinemment que les porte-paroles du Conseil mettaient d'abord sur le tapis les sujets les plus barbants pour finir avec les plus décisifs et ainsi retenir l'attention de l'auditoire, la foule se mit à vrombir de discussions et de soupirs. Tous conservaient leur attention pour la fin du discours, celui qui allait concerner ce qui s'était passé la semaine dernière, et les nouvelles déclarations qui allaient en découler. En effet, la semaine dernière, un scandale avait éclaté : un hybride avait été pendu par une bande de purs dans le quartier du Minotaure après avoir été roué de coups. L'affaire avait circulé dans les rues et chacun s'était fait son opinion là-dessus, jusqu'à des flambées de colère contre des soldats de la milice, car face à cet acte, la justice ewilemienne avait répondu par une incarcération des coupables. Une incarcération de quatre mois. Les minutes passèrent, le porte-parole s'égosilla à dicter toutes les mesures prises à propos de la taille des roues des charrettes, et enfin vint le sujet des ethnies sur le tapis. Le sénateur se râcla une énième fois la gorge et le silence vint. Mais comme d'habitude, tout ne donna lieu qu'à de la déception mêlée de frustration.
« Enfin, le Conseil de Ewilem tient à rappeler suite aux incidents qui ont eu lieu durant cette semaine que des coups portés à un gardien de la paix est formellement interdit et poursuivi d'une peine lourde. »
Une grande part de la foule, en majorité des non-purs, se mit à gronder.
« Et les meurtriers ?!
-Justice à Yacin !
-Justice au pendu de Ewilem !
-Je n'ai rien à ajouter ! » Se défendit le sénateur.
Le petit homme sursauta lorsqu'un spectateur posa un pied sur l'estrade.
« Monsieur ! Monsieur ! L'appela-t-il avec un semblant de calepin à la main. Je suis un rapporteur pour Ragnok : pourriez-vous vous prononcer sur l'affaire du pendu ? »
Le sénateur sembla consentir en voyant que le journaliste était plus poli que le reste de la foule. Après tout, il ne risquait pas grand chose, des hommes de la milice l'entouraient toujours. Et puis cela ne concernait que cet espèce de trou perdu qu'était Ragnok. Il hocha la tête et soudain, la foule devint beaucoup plus calme, beaucoup plus attentive à ce qui se jouait au bord de l'estrade.
« Les juges ont-ils délibéré sur la peine des coupables du meurtre en s'aidant d'une table des lois établie auparavant ? Interrogea le journaliste.
-Comme vous le savez, la table des lois s'écrit au cours des nouvelles mesures qui s'appliquent avec les nouvelles circonstances. Nous sommes une société en évolution vous savez.
-Les peines qui s'appliquent aux meurtres et assassinats ont-elles été établies avec cette affaire étant donné ses répercussions ? »
Le sénateur ne s'en rendait pas compte, mais le journaliste montait petit-à-petit les marches pour atteindre l'estrade, et bientôt, les deux hommes se trouvèrent à la même hauteur.
« Non bien sûr ! S'effara le sénateur. Les lois concernant les crimes majeurs ont été décidées il y a bien longtemps !
-Les crimes majeurs ? Répéta l'homme de Ragnok.
-Les crimes majeurs tels que les meurtres entraînent un condamnation lourde. Le minimum reste plusieurs décennies de prison.
-Mais n'a-t-il pas été décidé que les auteurs de la pendaison du jeune Yacin n'écoperaient que de quatre mois de prison ?
-Euh...
-La table des lois change-t-elle selon la victime ?
-Mais...
-Yacin était un hybride, est-ce que ça a à voir avec la... Comment appelez-vous cela déjà ? La justice que vous avez établie suite à ce meurtre ? »
Le journaliste tourna ses yeux bleus vers l'assemblée et une rafale de vent secoua ses boucles brunes. Isaac sourit de toutes ses dents et rangea son calepin inutile dans sa poche. Le chevreuil clama à la foule qui hurlait à pleins poumons :
« Maintenant, Peuple de Ewilem, sachez que nos bons protecteurs préparent les lois selon votre faciès. Remercions nos gardiens qui nous protégerons tant que notre tête leur revient ! »
Les partisans au mouvement pro-hybride qui s'était déplacé en masse pour cet événement hurlèrent des rires et des acclamations, en cœur avec les hybrides et les habitants présents. Ils brandirent leurs pancartes en huant les sénateurs et les miliciens qui s'avancèrent sur Isaac. Le brun termina ses révérences à la foule et sauta à la hâte de l'estrade. Comme la milice commençait à brandir leurs lances, tous détalèrent comme des lapins, et les membres de l'association comme des enfants hilares, non sans oublier de jeter quelques tomates pourries vers l'estrade. En courant, tous venaient taper dans le dos de Isaac en riant :
« C'était génial !
-T'es le meilleur des orateurs Isaac !
-Avec ça, ces cons vont rester cloîtrés chez eux pendant trois bons mois ! »  
La bande arrosa la victoire de leur campagne en se réunissant dans leur QG, un hangar qu'ils avaient l'habitude d'occuper pour leurs réunions. Ils sortirent les chaises, les bouteilles, les tonneaux de sève, ça chantait, ça riait et ça se mettait à danser. Ils allaient voir le portrait du jeune Yacin accroché au-dessus de la porte pour lui rendre un dernier hommage. Et quant au portrait des sénateurs les plus puissants, eux ne recevaient que fléchettes et bouillasse. Portés par l'euphorie, on plaça une chaise sur la table et l'on y hissa le derrière de Isaac, empourpré par la gêne et la fierté. Puis on posa sur sa tête de vainqueur une couronne de fleurs, et comme ainsi il ressemblait à Cupidon, tous vinrent l'embrasser sur les joues.
« Tu sais quoi mon -hips!- pote ? J'avais la pétoche quand t'es arrivé dans le... Le... Le groupe... Hips ! Pasque tu vois t'étais un gamin d'un membre du Conseil, alors j'pensais qu'tu vi... Viendrais fout'la merde. Mais en fait, toi et ta nana, vous z'êtes trop génials... Géniaux. » Balbutia Xavier, accroché au cou de Isaac pendant qu'il parlait, complètement alcoolisé alors que tous les convives dansaient au centre de la salle.
Isaac lui frictionna amicalement les cheveux.
« Ca me va droit au cœur, dit-il.
-Nan mais c'est vrai ! S'exclama-t-il, indigné pour aucune raison. Pasque merde ! Rosie aussi c'est une fille bien ! Tu doah tout faire pour qu'elle reste avec toah ! Et pis p'tit Priam aussi c'éti un bout d'chou du tonnerre !
-Bon Xavier, mon pote, surgit la voix de Rosalie. Je te prends ton copain un instant parce que sa nana géniale a besoin de lui pour danser. »
Rosalie attrapa les mains de son compagnon et l'entraîna sur la piste avec un grand sourire. Face-à-face au milieu des danseurs, ils se regardèrent dans les yeux, les mains de l'un sur la taille ou sur les épaules de l'autre.
« Tu étais très beau sur l'estrade, lui souffla Rosalie.
-Et toi tu es belle comme le jour, lui répondit-il en posant sa couronne de fleurs sur la tête de la blonde.
-Dis donc, tu n'es pas un peu ivre toi aussi ? »
Il la fit taire en l'embrassant, et ils se laissèrent porter par la musique jusqu'à la fin de la soirée.
« Ouhlala ! Je vois que vous avez bien savouré votre victoire ! » S'exclama Kob en ouvrant la porte à Isaac.
Isaac ricana et frotta ses joues rouges (sûrement pas dûes aux quelques verres de sève qu'il avait partagés avec ses comparses). Il entra dans la maison du baudet.
« Il a été sage ? Demanda-t-il.
-Très sage. Vous êtes de très bons professeurs toi et Rosalie, il sait lire sur le bout des doigts. Je n'ai même plus besoin de l'aider. Rosalie n'est pas là ?
-A la maison, elle nous attend. Elle a... Un peu trop profité de la fête.
-Héhé, je vois. Priam ! Papa est là ! »
Il entendirent quelque chose bondir du canapé et filer jusqu'aux jambes de Isaac en riant de sa petite voix d'enfant. Priam offrit un sourire lumineux et manquant d'une incisive.
« Bonsoir Papa !
-Aïe aïe ! Gémit Isaac en vacillant un peu. Doucement petit moineau, j'ai l'esprit un peu embrumé. Merci Kob de t'être occupé de lui.
-Ne t'en fais pas, c'est toujours un plaisir. »
Isaac et Priam sortirent dans la fraîcheur du soir. Isaac regarda son fils gambader joyeusement devant lui pendant que le soleil disparaissait derrière les toitures. C'était toujours un réel plaisir de le voir sautillant en revenant de chez Kob, et à mesure qu'il grandissait, il sortait peu-à-peu de sa coquille et s'ouvrait toujours un peu plus aux autres shapeshifters. Priam prit la main de son père et marcha à ses côtés.
« Alors ? Qu'est-ce que vous avez fait de beau avec Kob aujourd'hui ? Demanda Isaac.
-On est allés sur la jetée ! S'exclama Priam, plein d'enthousiasme. Il m'a appris que les petits cailloux et le sable ils ont été apportés par la mer alors qu'ils venaient des montagnes. Il m'a dit que c'était la sédi... Sédenta... Euh... Bref ! Ensuite on a dessiné ensemble. »
Des oiseaux et des fleurs des champs je suppose, songea Isaac.
« Et vous, vous avez fait quoi avec Maman ? Demanda le petit blond en levant ses beaux yeux bleus.
-Nous ? Eh bien nous sommes allés sur la place du marché pour écouter des messieurs du Conseil faire du blabla, puis on a débattu avec eux. Et comme on avait bien débattu avec Maman, on est allés faire une fête de grands très très ennuyeuse.
-Oh... Vous vous êtes amusés ?
-Beaucoup ! Avec Maman on adore faire des fêtes ennuyeuses. »
Priam fit un regard qui voulait dire que Ciel, jamais il ne comprendrait le monde des adultes, ce qui fit rire Isaac.
Ils bifurquèrent dans une rue, et à présent, il n'y avait plus un chat autour d'eux. Priam semblait plutôt confiant et en venait à lâcher la main de son père pour trottiner devant lui en levant le nez vers les étoiles. Et malgré la confiance de son fils, les muscles se tendaient sous la peau de Isaac. Ses tympans captaient des sons parasites et son sixième sens de proie lui soufflait des menaces. Le bout de ses doigts commençait à se recouvrir de corne. Quelque chose n'allait pas. Dès qu'il jeta très discrètement un regard par-dessus son épaule, il aperçut deux ombres droites suivre les chevreuils. Son cœur fit un bond. Il leva les yeux et discerna le bout la rue à travers l'obscurité. Là-bas, il y avait encore deux formes noires. Elles les attendaient.
Isaac tâcha de garder son calme. Il accéléra la cadence et attrapa la main de Priam. Tous les deux firent quelques pas collés l'un contre l'autre, et soudain, Isaac jeta son garçon entre les roues d'une charrette, à l'abri sous les bottes de pailles et les cageots. Il fit bien.
Il sentit soudain une large main lui agripper l'épaule et le pousser contre le mur en face. Les quatre ombres l'encerclèrent. Tu cherches la merde. On va t'apprendre à te foutre de notre gueule. T'aimes ça, te faire baiser par des parasites. Je suis sûr que t'aimes ça. Isaac ne répondit rien à leurs murmures agressifs. Il baissa la tête et n'attendit qu'une chose : qu'ils ne mettent pas la main sur Priam.
Le brun reçut un premier coup à la mâchoire. Il vacilla. Le deuxième coup fut porté à l'arrière de son crâne par l'os anguleux d'un coude. Assommé, il s'effondra et tomba à la merci des talons des quatre ombres. Ventre, côtes, encore le ventre. Coup sur le visage. Craquement à l'os nasal. Sa vue fut recouverte d'un voile gris parsemé d'étoiles blanches. Les coups suivants au ventre et entre les cuisses le transformèrent en une boule de douleur et d'inconscience. Il voulait retenir ses cris pour ne pas leur donner cette satisfaction, mais c'était impossible. Il ne parvenait même plus à entendre ses hurlements de douleur. Il sentait les os de son bras se casser en deux et une fêlure parcourir ses côtes. Son estomac écrasé par un talon le fit vomir.
Il mit un temps abominable à perdre conscience pour de bon, sentant son âme s'enfuir de ses lèvres éclatées. Avant de plonger dans les ténèbres, il ne put voir dans l'ombre de la charrette que les deux petits yeux bleus couverts de larmes de terreur.
Revenir en haut Aller en bas
Ra' Aden
Administratrice aux perso débiles
Administratrice aux perso débiles
Ra' Aden


Messages : 2686
Age : 23
Humeur :

Belle comme le jour - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Belle comme le jour   Belle comme le jour - Page 3 EmptyDim 12 Déc 2021 - 18:21

C'était si bien décrit que j'en ai eu mal

Et t'inquiètes pas pour les liberté au niveau de l'histoire, je pense que tu es le membre le plus légitime à l'écrire et donc décider de ce qu'il se passe Belle comme le jour - Page 3 1226419053
Revenir en haut Aller en bas
Elv
Membre du panthéon
Membre du panthéon
Elv


Messages : 2048
Age : 21
Humeur : La pêche!

Belle comme le jour - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Belle comme le jour   Belle comme le jour - Page 3 EmptyDim 26 Déc 2021 - 21:19

Mai 41

Haku vint à la porte lorsque l'invité toqua. Il l'ouvrit et sourit à Isaac. Il jeta un rapide coup d'œil aux restes de son agression, son bras enveloppé dans une attelle et sa canne qui le maintenait, ses jambes encore faibles. Il lui dit :
« Je suis tellement content de te revoir. »
Isaac et Haku s'enlacèrent comme deux frères. Ils tombèrent lourdement sur leur chaise respective à l'intérieur et Haku servit une grande tasse d'infusion à Isaac. Le chien viverrin lorgna le bras en écharpe de son ami et déglutit avec difficulté.
« Tu... Tu dois en avoir marre qu'on te dise ça, mais je te jure, on a tous cru que tu allais nous claquer entre les doigts ce soir-là. »
Isaac souffla du nez.
« Il en faut plus pour m'envoyer dans la tombe.
-Mais merde Isaac, qu'est-ce qui s'est passé ? Anissa m'a dit que tu étais avec Priam ce soir-là. Il s'est pris des coups lui aussi ?
-Non. Non heureusement. J'ai pu le cacher avant qu'ils n'arrivent. Et il a eu la présence d'esprit de tenir sa langue alors que je me faisais réduire en miettes. Mais... »
Le brun passa une main sur son visage pâle.
« Je m'en veux tellement qu'il ait dû assister à ça. Lui qui est si renfermé et timide, ça ne va pas arranger son cas. Il est complètement traumatisé maintenant. Il ne veut plus sortir de la maison. »
Il y eut un silence. Haku regardait son ami avec inquiétude. Quand il était venu voir Isaac à l'hôpital ce soir-là, il n'avait pas voulu en croire ses yeux. Emmitouflé dans d'innombrables couches de bandages trempées de sang, il était resté inconscient pendant deux jours. Il se souvenait de Kob, qui se rongeait les ongles jusqu'au sang. Il se souvenait de Rosalie. Elle ne voulait pas s'arrêter de pleurer. Priam avait perdu l'usage de la parole. C'était ce tout petit bout d'enfant qui était parti chercher de l'aide et qui avait guidé les sauveteurs jusqu'à la benne où avait été jeté la loque ensanglantée qu'était devenu Isaac. Après cela, Priam s'était transformé en une boule d'angoisse qui ne pouvait pas s'arrêter de trembler.
Isaac entoura sa tasse chaude de ses mains, le regard fuyant. Sentant qu'il voulait lui ouvrir son cœur, Haku lui fit un signe de tête pour lui signifier qu'il pouvait tout lui dire. Isaac souffla doucement :
« Quand je suis revenu à la maison, Rose et moi on... On a eu une très grosse dispute.
-Oh... C'est Rosalie, elle a le sang chaud... Tenta de le rassurer Haku.
-Non, rétorqua le chevreuil. Elle avait raison. Sur toute la ligne.
-Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?
-Beaucoup de choses. Mais en bref, qu'on était des enfants inconscients. Surtout moi. Et qu'on n'avait plus l'âge pour cela. Avec tout ça, tout ce combat pro-hybride, on ne cesse de mettre Priam en danger. Qu'est-ce qu'il se serait passé Haku, s'ils avaient trouvé Priam ce soir-là ? Et ç'aurait été entièrement de ma faute. Et encore, aujourd'hui ce ne sont que des voyous et des suprématistes, mais demain, ce sera peut être la milice, et plus personne ne pourra nous protéger. »
Une ombre passa sur le visage fatigué de Isaac.
« S'ils s'en prenaient à Priam ou même à Rose, j'ai beau être une proie je pourrais les tuer. »
Haku hocha difficilement la tête. C'était la première fois qu'il entendait de tels mots de la bouche de son ami, lui qui prônait le pacifisme et la diplomatie. Il fallait croire que cet événement avait bien ébranlé la maison des chevreuils. Il demanda ensuite :
« Ils ont chopé les coupables ?
-Non.
-Ils mériteraient vingt ans de cachot pour ça putain... Maugréa-t-il. S'ils avaient un problème avec toi ils n'avaient qu'à ouvrir leur gueule quand t'étais sur l'estrade, pas venir t'agresser alors que t'es seul avec ton fils... Oh ! Et si c'était un sénateur qui les avait envoyés ? »
Isaac ricana, les yeux flamboyants.
« Ca m'étonnerait que ce soit eux. Je me les fais petit-à-petit dans la poche. Ca a du bon d'être l'un des meilleurs médecins du centre hospitalier. Ils évitent de la ramener parce qu'ils viennent chouiner à mes pieds quand leurs enfants sont malades. Notre réputation d'excellents docteurs à moi et Rose prennent le pas sur celle de petits agitateurs. »
Il soupira, et acheva en buvant une gorgée de son infusion :
« Mais on ne pourra pas continuer indéfiniment. Rose a raison, ce n'est plus à nous d'être des enfants. »

Rosalie entra la clé dans la serrure de la porte. Elle pénétra dans sa maison à pas feutrés. Isaac n'était pas encore rentré. Elle veilla à refermer derrière elle.
« Priam ? »
Elle n'eut comme maigre réponse que le frottement des rideaux au fond de la pièce. Elle posa son sac sur la table et en sortit un bocal. Elle s'approcha doucement des rideaux qui séparaient le lit de Priam du reste de la pièce.
« Tu es réveillé ? Je peux entrer ? Lui demanda-t-elle d'une voix douce.
-Oui. »
Rosalie écarta les rideaux et entra dans le petit sanctuaire qu'avait construit Priam pour le protéger de sa psyché blessée. Il avait dressé un château de couvertures et de coussins, dans lequel il se cachait et passait le plus clair de ses journées, maintenant qu'il ne trouvait plus le courage de mettre un pied dehors. Priam y était tapi. Rosalie se mit à quatre pattes et avec son invitation entra à son tour dans la cabane d'enfant en tenant le bocal contre son cœur. Elle s'assit en tailleurs en face de Priam, l'échine courbée à cause du plafond bas de la forteresse. A chaque fois qu'elle y pénétrait, elle passait d'abord quelques instants à observer tous les détails de la cabane, toutes les décorations discrètes qu'y avait glissées son fils pour construire son cocon protecteur. Ses petits cailloux de couleur étaient disposés dans un ordre précis, tout comme les feuilles de houx et d'olivier qui ornaient le plafond de tissu. Elle sourit et embrassa Priam sur le front.
« Tu sais, c'est ton anniversaire demain. Et comme tu ne nous as pas dit ce dont tu avais envie, j'ai pris les devants. »
Le visage de Priam ne laissait transparaître presque aucune émotion. Mais c'était ainsi depuis l'agression du mois dernier, Rosalie s'y était faite. Elle espérait seulement que le cadeau qu'elle ramenait à Priam apporterait un petit sourire sur ses lèvres. Elle lui montra le bocal.
« Regarde ce que j'ai trouvé aujourd'hui. Il était en plein milieu du chemin, il allait se faire écraser. »
Priam regarda le lucane cerf-volant derrière le verre.
« Il va étouffer. » Dit-il.
Rosalie hocha la tête et ouvrit le bocal. N'ayant pas peur de quelques pattes d'insecte, il y enfourna sa main et délicatement, il prit le gros coléoptère dans sa main. Ils passèrent quelques instants dans le silence, Priam regardant l'insecte sur son bras, Rosalie guettant la réaction de son fils. Elle fut soulagée d'apercevoir une petite lueur s'éclairer dans ses yeux.
« Il est très beau, dit-il.
-Tu pourras le garder à la maison si tu veux. On pourrait lui faire une jolie boîte, tu pourrais lui donner un nom... »
Priam hocha la tête et laissa le lucane parcourir son bras. Le scarabée dans son air bourru remonta la manche du petit garçon, escalada son cou puis finit par s'aventurer dans ses cheveux et sur son visage. Rosalie était toujours très impressionnée que Priam ne montre pas un seul signe de dégoût envers ces bêtes.
« Vous ne vous aimez plus toi et Papa ? »
Le cœur de Rosalie bondit dans sa poitrine. Elle ne s'attendait pas du tout à cette parole de la part de son fils. C'était la première fois qu'il s'aventurait sur ce genre de terrain, pas seulement depuis le mois dernier, mais même depuis sa naissance. Prise au dépourvu, elle balbutia :
« Mais... Mais bien sûr que si Priam ! Pourquoi tu... Oh... Tu nous as entendus c'est cela ? »
Pourtant lors de leur dispute, ils avaient veillé à sortir de la maison et à faire leurs affaires dehors pour éviter que Priam n'ait pas à supporter les cris en plus de son récent traumatisme. Priam ne répondit rien mais cela voulait tout dire. Rosalie soupira tristement.
« Je suis désolée que tu aies dû entendre cela.
-Vous avez beaucoup crié, poursuivit Priam en caressant délicatement la corne du lucane. Et puis j'ai l'impression que vous vous boudez tous les deux. »
Notant intérieurement que leur fils de sept ans lui-même les regardait comme deux mômes, Rosalie finit par sourire. Elle expliqua, aussi bien à Priam qu'à elle-même.
« J'aime toujours Papa. Du fond de mon cœur. C'est parce que j'ai eu très peur pour lui que je me suis énervée.
-Maman... »
Les yeux de Priam devinrent très brillants.
« Dis-moi ce qu'il se passe... Pourquoi ils ont fait du mal à Papa... » Sanglota-t-il.
La gorge de Rosalie se serra. Elle entoura son fils de ses bras et se retint de pleurer de toutes ses forces contre son épaule. Le lucane déambula sur les cheveux blonds des deux shapeshifters. Rosalie prit une inspiration et murmura :
« Tu te souviens de ce qu'on t'a expliqué avec Papa sur les ethnies ?
-Oui... Il y a les Purs, les Hybrides, et les Anomalies.
-C'est ça. Et on t'a expliqué qu'on pouvait avoir n'importe quelle forme, de n'importe quelle façon, et que ça ne devait pas influencer ton jugement sur eux. Nous sommes tous pareils. »
Priam hocha la tête. Dans sa tête d'enfant, la chose était parfaitement logique.
« Eh bien, poursuivit Rosalie. Il y a des gens qui pensent que les Purs sont de meilleures personnes, uniquement parce qu'elles étaient là avant. Et ce mépris et cette ignorance, elle laisse place à de la peur. Et c'est très dangereux, surtout quand la peur s'installe sur un peuple entier. Tu comprends ce que je veux dire ?
-Oui.
-Avec Papa, depuis qu'on se connaît, on se bat pour que toutes les ethnies soient égales devant la loi. Et pour ça, on passe par des moyens un petit peu vilains.
-Quel moyens ?
-Le plus souvent, on va marcher en groupe dans les rues. Parfois, on prend de la peinture et on va peindre sur les murs de la salle du Conseil... » Raconta Rosalie avec un sourire.
Priam écarquilla les yeux en apprenant que ses adultes de parents étaient en fait de véritables voyous.
« La cause est bonne, ce n'est pas le problème. Le problème, c'est que cette cause ne plaît pas à certaines personnes, et surtout aux gens qui dirigent Ewilem. Et le problème pour eux, c'est que nos actions font beaucoup de bruit. Et ça, ils n'aiment pas du tout. C'est pour ça qu'ils ont envie qu'on se taise. Et ça passe par des moyens... Pires que les nôtres. »
Elle hésita quelques instants avant de terminer :
« C'est... C'est pour ça que des hommes sont venus frapper Papa. Pour qu'il se taise. »
Priam frémit. Il se blottit davantage dans les bras de Rosalie et enfouit son nez dans sa tunique.
« Si ils m'avaient trouvé moi aussi... Murmura-t-il. Ils m'auraient frappé... ?
-Personne ne te frappera Priam. Je t'en fais la promesse. On ne laissera personne te toucher. On s'est mis d'accord avec Papa, ce qu'on fait tous les deux depuis toutes ces années, c'est bien trop dangereux et inconscient. On ne peut pas se permettre de te mettre en danger comme ça. On va tâcher de faire profil bas et arrêter... D'être un peu trop visibles dans ce qu'on fait. »
Rosalie resserra son étreinte et inscrivit cette promesse dans son cœur. Priam laissa couler quelques larmes, mais d'un goût différent. Ce n'étaient plus des larmes de terreur et d'angoisse, c'étaient des larmes de soulagement et de libération. A cela, Rosalie ne put retenir les siennes non plus, même si elle sanglota avec un sourire en attrapant les joues rondes de Priam :
« Eh... Faut pas pleurer pour ces idiots. On ne pleure pas pour un idiot, petit moineau. »
Le sourire qui apparut sur le visage de Priam acheva de faire fondre le cœur de Rosalie. En se regardant sourire comme deux idiots en larmes, ils se mirent à rire doucement et à panser leurs blessures et leurs craintes respectives. Au dehors de la forteresse, la porte de maison s'ouvrait, et la voix de Isaac retentit.
« Il y a quelqu'un ici ? »
Rosalie et Priam se regardèrent, comme se questionnant l'un et l'autre. Rosalie finit par essuyer une dernière larme sous son œil avant de lui répondre :
« On est là, Isaac. »
Ils l'entendirent s'accroupir difficilement.
« Ô Seigneur Priam, me permettez-vous d'entrer dans votre demeure ? Dit-il humblement derrière la toile.
-Ô Roi Priam ! S'effara Rosalie. Quand on s'appelle ainsi, mieux vaut ne pas laisser entrer des étrangers dans sa cité. Même quand ils ont un beau cheval en bois à offrir.
-Hahaha, super drôle, maugréa le brun.
-J'ai pas compris la blague... Se plaignit Priam.
-Bon, je peux entrer ? »
Ils se retrouvèrent ainsi tous les trois cachés dans la cabane de couvertures, au chaud quoi qu'un peu serrés. Comme Rosalie, Isaac passa de longues minutes à détailler du regard le décor de la forteresse, admiratif.
« Tu as peut être raison Priam, souffla-t-il. On est sûrement mieux ici quand dans le monde extérieur.
-Papa, regarde ce que Maman m'a offert !
-Eh bien, ça va nous changer de nos faucheux.
-Tu aurais préféré un louveteau Isaac ?
-Euh...
-Oh oui moi j'en veux bien un !
-Quand tu seras grand, peut être, Priam. »
Ils étaient encore dans la forteresse lorsque le soleil se coucha. Ils s'y endormirent d'ailleurs, et le lendemain, lorsque Rosalie et Isaac se réveillèrent nez-à-nez, ils rougirent de honte. Ce n'est plus à nous d'être des enfants, hein ? Mais même si le temps eut bien du mal à effacer les années de jeunesse et de folie des deux amants, il parvint en revanche à laver la blessure de Priam, qui retrouva enfin le courage de sortir de la maison au bout de quelques semaines.
Revenir en haut Aller en bas
Ra' Aden
Administratrice aux perso débiles
Administratrice aux perso débiles
Ra' Aden


Messages : 2686
Age : 23
Humeur :

Belle comme le jour - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Belle comme le jour   Belle comme le jour - Page 3 EmptyDim 26 Déc 2021 - 21:34

C'est vraiment la famille parfaite 🥺
Revenir en haut Aller en bas
Elv
Membre du panthéon
Membre du panthéon
Elv


Messages : 2048
Age : 21
Humeur : La pêche!

Belle comme le jour - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Belle comme le jour   Belle comme le jour - Page 3 EmptyDim 23 Jan 2022 - 22:13

Août 44


« Allez du nerf les vieux schnocks !
-Tim ! Tu ne parles pas comme ça à Tonton Kob !
-M'en fous m'en fous m'en fous !
-VIENS ICI SALE GARNEMENT ! »
Mais Tim n'en eut cure des remontrances et cavala au devant de la caravane en riant comme un vaurien. Rosalie regarda ce spectacle déroutant en retenant ses éclats de rire. Il fallait dire que voir son ami Haku courir après son môme en haletant comme un diable était particulièrement désopilant. Elle ralentit l'allure pour attendre que la charrette tirée par Kob et Karl arrive à sa hauteur. L'âne et le percheron tenaient bon mais traînaient de plus en plus les sabots. Heureusement, les tours des Ruines apparaissaient entre les arbres. Elle s'adressa à Lila :
« Dis donc, c'était vraiment une bonne idée d'emmener ton homme et ton gamin dans l'expédition ?
-Bien sûr ! Répondit-elle. Ce petit voyage va resserrer les liens père-fils. Et puis toi et Isaac vous avez bien emmené Priam, non ?
-Oui enfin, moi je n'ai pas besoin de lui courir après tous les deux-cent mètres... Tiens, d'ailleurs, où ils se sont fourrés tous les deux ?
-Tout à l'heure ils étaient à l'arrière de la caravane.
-Ah ça y est, je les vois. Eh Priam ! Mais... Priam, qu'est-ce que c'est ce truc blanc qui pendouille autour de ton cou ?
-C'est une mue de serpent, Maman. Je viens de la trouver sur le bord du chemin. Papa a dit que je pouvais la garder ! Dis je peux ?
-Oh Seigneu... Euh moui hum, bon d'accord.
-Merci Maman !
-Hahaha ! Se gaussa Lila à gorge déployée. T'as d'autres conseils à me donner sur l'éducation ? »
Rosalie grommela et se garda d'ajouter tout commentaire à propos des relations inter-familiales. La troupe de voyageurs de Ewilem, dans laquelle l'on pouvait compter les trois chevreuils, les trois chiens viverrin, Kob, Karl et quelques autres chercheurs, des connaissances de Kob, s'approchait à grands pas des Ruines, et les atteignit seulement lorsque le soleil pointa à son zénith. Rosalie vit que son fils était tétanisé d'admiration pour les tours de métal de l'Ancien Monde, qu'il découvrait pour la première fois de sa vie. Elle lui donna un coup d'épaule.
« Il faudra que tu restes bien près de nous. Cet endroit peut être dangereux. »
Priam frissonna.
« Mais ne t'inquiète pas ! Le coin vaut le détour ! Clama Kob à l'arrière. Allez vous autres, sortez les cartes, il faut vérifier notre itinéraire. »
Ils s'assirent autour d'un feu de camp, chacun avec sa gamelle dans une main. Ils mangèrent leur repas du midi en observant la carte et discutant. Isaac était particulièrement appliqué.
« Où l'ont-ils trouvée déjà ? Demanda-t-il en examinant le papier.
-Au centre de la ville. Elle est dans un bâtiment en briques dont les portes sont scellées. Mais Obohan m'a dit qu'il y avait un passage par une fenêtre au Nord. J'ignore si des chasseurs de trésors l'ont trouvée avant nous. »
Tous les chercheurs, en comprenant Isaac et Rosalie, tremblaient d'impatience et d'excitation. Priam aussi frémissait et glissait à l'oreille de sa mère.
« Et on va tout prendre ? Lui chuchota-t-il.
-On va voir ce qu'on trouvera d'abord. Ensuite, on verra comment on se partagera le butin. »
Dès leur repas terminé, ils reprirent leur route dans la métropole en ruine. Isaac profitait de leur passage pour enseigner à son fils ce qu'ils savaient sur le lieu.
« Les Hommes vivaient ici, leur logement se trouvait dans les tours et les commerces au rez-de-chaussée. La ville a commencé à se vider quand le virus est arrivé, et à mesure que l'espèce shapeshifter se développait, elle s'est dégradée, pour n'être finalement plus qu'un désert. Plus personne ne veut habiter là-dedans à présent. Nos aïeux ont pris l'habitude de fuir la civilisation humaine, et nous avons gardé cette habitude dans notre instinct. Nous avons besoin de la nature, et les Hommes s'en étaient trop éloignés. »
Priam hocha la tête et se tourna vers Kob, qui marchait à côté d'eux.
« Kob, ton humain, il vivait ici ?
-Héhé, non, il ne vivait pas ici. Arthur était un misanthrope, il vivait plutôt dans le coin où s'est construit Aust par la suite, tout seul dans sa ferme. Ce doit être la raison pour laquelle il a été l'un des derniers à être touché par le virus. »
Isaac regarda son père adoptif parler de son ancien maître avec nostalgie. Arthur avait beau haïr ses congénères, il n'en adorait pas moins les animaux qu'il considérait comme sa véritable famille. Il avait fait naître Kob, il l'avait choyé et remplacé sa mère, morte à la naissance de l'ânon. Quand l'étrange brume s'était répandue sur la terre, Arthur avait été témoin de la toute première transformation de son compagnon. Il n'avait pas eu peur. Il avait continué de le couvrir, et à partir de ce jour, il l'aima, non plus comme son animal domestique et son compagnon de travail, mais comme un fils. Kob était devenu le réceptacle des dernières connaissances humaines. Mais ce qui devait arriver arriva : Arthur est mort un matin, emporté par la maladie, emportant l'humanité avec lui.
« J'aurais bien aimé rencontrer un homme, minauda Priam.
-Tu aurais sûrement été très déçu, le rassura Kob. Après tout, nous ne sommes pas différents d'eux. Nous avons leur forme et leur intellect, et la société que nous sommes en train de construire se rapproche peu-à-peu de l'ancienne, même si beaucoup le nient. »
Il souffla un instant, fatigué par le poids de la charrette qu'il tirait, puis reprit :
« Le fait que l'humanité ait laissé place à l'ère des shapeshifters n'est peut être pas une mauvaise chose au fond. Beaucoup pensent, et j'en suis, que les Hommes ont disparu à cause de leurs excès. Ils ont favorisé leur confort plutôt que la décroissance qui pouvait tous les sauver. Mais nous, nous sommes des êtres tout-à-fait fascinants. Excuse ma vulgarité, mais nous avons le cul entre deux chaises. En plus de notre forme de base, qui nous lient à la nature et nous y soumet, nous avons hérité du caractère humain, plein d'ambition et d'idées. C'est cette ambition qui l'a détaché de la nature, mais à bon escient, elle peut nous mener au paradis naturel. Priam, tu as lu le livre que je t'ai prêté ?
-La Ferme des Animaux ? Oui mais j'ai pas tout compris...
-Tu le reliras quand tu seras un peu plus âgé, et tu comprendras mieux. Mais regarde ce qu'a créé notre hybridation entre l'Homme et le reste des Animaux : aussitôt que nous nous sommes regroupés en villes, nous avons cherché à créer une société égalitaire basé sur une démocratie, et non pas une dictature où tout le pouvoir se trouverait dans les mains d'un seul être. Notre besoin contradictoire de vivre ensemble et d'être libres s'est combiné avec notre réflexe humain de régler les problèmes par notre tête, et c'est ainsi que sont nées les villes. Enfin... Ca, c'était avant l'arrivée des Non-purs... Nom de Dieu ! J'espère qu'on trouvera du Kant arrivés là-bas ! »
Priam écarquilla les yeux, semblant complètement perdu. Kob soupira de contentement :
« Aaaaah... 'L'insociable sociabilité', tout ça tout ça... »
Isaac pouffa dans sa barbe. Le pauvre Priam devait avoir compris la moitié du discours, mais il hocha la tête avec politesse. Malgré cela, Priam grandissait, et sa pensée gagnait en maturité. Ses taches de faon sur son dos commençaient à s'effacer pour laisser place à son pelage uni d'adulte. Et pendant ce temps, lui et Rosalie commençaient à gagner les pattes d'oie.
« Arrivés ! S'exclama Karl. Allez les autres, vous savez quoi faire ! »
Tous s'activèrent. Les équidés se défirent des sangles de leur charrette qu'ils cachèrent dans la ruelle du bâtiment de briques. Ils sortirent les sacs, les cordes, les harnais, les armes. Ils prirent tous leur apparence humaine et après avoir patrouillé autour de la bâtisse, ils s'y infiltrèrent par la fenêtre au ras du sol.
« Chers amis, fit Kob qui atterrit le premier dans l'immense salle que renfermaient les briques. Bienvenue dans la Bibliothèque. »
Lorsque les voyageurs brandirent leurs lanternes et chandelles et éclairèrent la pièce plongée dans l'obscurité, Isaac et Rosalie ne purent s'empêcher d'ouvrir la bouche d'émerveillement. La bibliothèque secrète renfermait des dizaines et des dizaines d'étagères bourrées de livres. Beaucoup étaient dans un état pitoyable, rongés par les insectes et surtout par l'humidité, mais le nombre d'ouvrages encore lisibles dépassait leurs espérances. Ils se divisèrent tous dans la grande salle, pendant que l'un des leurs montait la garde à l'unique entrée. Les trois chevreuils se ruèrent vers l'aile Ouest en sautant par-dessus les chaises et étagères renversées. Ensuite, comme trois petits rats de bibliothèque, ils s'éparpillèrent un peu partout pour fouiner dans les livres.
« On est au rayon 'Romans classiques', fit remarquer Rosalie.
-Il y a les recueils de poésie à côté, indiqua Isaac. Après, on ira fouiller du côté de Arsène et Maria, sinon ils vont mettre la main sur tous les articles scientifiques, les vilains... Priam, viens voir ! Ca va te plaire ça. »
Isaac lui montra trois romans dans un état acceptable mais dont certaines pages se détachaient.
« Jules Vernes. Des romans d'aventure et d'expéditions.
-Génial ! »
Avec ses trois premiers trésors, l'enfant s'éclipsa du côté de la poésie. Les deux parents le regardèrent jeter son nez dans tous les recueils de poèmes qu'il trouvait et sourire d'envie.
« Voyez-vous ça, dit Rosalie en haussant les sourcils. On va avoir un troubadour à la maison.
-J'ai toujours trouvé qu'il avait un air de héros romantique. »
Comme prévu, ils rejoignirent le côté des ouvrages scientifiques après avoir rempli une partie de leur sacoche de classiques de la littérature. Priam avait sa propre petite besace qui débordait déjà. Les voyageurs rassemblaient les livres qu'il ne voulaient pas compter dans leur collection personnelle mais qui servirait l'intérêt commun. L'on y compta des recueils d'articles sur l'agriculture, l'astronomie, la mécanique, la philosophie, la médecine, et même la psychologie. Mais le jackpot fut la trouvaille d'un dictionnaire sur lequel se jeta Kob en bavant. Le dictionnaire était peut être ce qu'il y avait de plus précieux pour un érudit et un archéologue, une trace fiable et infinie à la fois de la culture, de la technologie et des connaissances des Hommes. Ils n'avaient qu'à ouvrir à une certaine page pour trouver une liste de mots inconnus et leur signification. Ils découvraient ainsi des objets et concepts dépassant leur entendement tels que 'téléphone', 'chewing-gum', ou 'capitalisme'. Ils passèrent l'après-midi entière à fouiller et explorer la bibliothèque.
Les voyageurs se mirent à se relayer pour sortir les piles d'ouvrages un à un du bâtiment pour aller les charger dans la charrette. Le soleil touchait le bout des tours lorsqu'ils furent sur le point d'achever leur transfert. Isaac s'essuya le front et fit craquer son dos. Il ne restait plus que deux piles au centre de la salle. Rosalie lui donna une grande claque dans le dos.
« Tout va bien Papi Zaza ?
-Ne fais pas la fière. Tu pues la sueur à plein nez.
-Maman, Papa ! Appela Priam en accourant vers eux. Kob dit qu'il y a une salle en sous-sol qu'on a pas visitée encore ! »
Les deux chevreuils se tournèrent vers le vieil âne. Il montra du pouce un coin derrière son épaule.
« Au fond. Il faut passer une porte coupe-feu et descendre un escalier. Je pense que c'est l'ancienne réserve de la bibliothèque.
-On y va ? S'enthousiasma Priam.
-Attends, petit moineau. La nuit tombe, on ferait mieux de sortir et de reprendre demain. »
Le blondinet hocha la tête et laissa Kob le mener vers la sortie. Rosalie lança soudain une œillade à son compagnon avec un sourire en coin.
« On aurait donc perdu notre sens de l'aventure Papi Zaza ?
-Mais tu es le diaaaable ! S'exclama Isaac d'un air théâtral avant de glisser à son oreille. Allons-y, démone, allons aux enfers. »
Avec un sourire goguenard, ils informèrent Kob qu'ils voulaient tout de même jeter un œil au sous-sol avant de sortir, puis filèrent vers la porte du fond, le cœur battant.
Lorsque Kob et Priam sortirent, ils tombèrent dans une scène de ménage entre Lila et le petit Tim. Ce dernier était rouge de colère. Il assurait en criant qu'il avait vu une créature filer entre deux étagères. Mais Tim était tellement sujet aux mensonges que Lila n'en croyait pas un mot. Cette conversation le rendit si furieux qu'il décida de ne plus parler à personne de toute la soirée. Priam glissa à son grand-père que cette scène était sans rappeler l'histoire du garçon qui criait « Au loup ! », mais ils n'y songèrent pas plus et entreprirent de pousser la charrette à un coin de bivouac.

Les escaliers étaient humides et glissants. Les deux trentenaires tenaient en main une chandelle allumée qui leur éclairait le passage. Les toiles d'araignées luisaient au passage de la flammèche. Ils arrivèrent dans une salle plus petite et bien plus encombrée. L'air sentait assez mauvais. Rosalie s'aventura sur les étagères de métal, toutes renversées ou presque et s'accroupit pour prendre un ouvrage dans les mains.
« Il a dû y avoir une inondation. Les livres sont foutus, dit-elle.
-Peut être que certains sur les étagères ont été épargnés. »
Ils dénichèrent en effet quelques exemplaires de livres pour enfants et de livres d'art. Ils tombèrent ensuite sur un caisson de romans qui pourraient intéresser certains.
« Allons le dire aux autres, décida Rosalie. On ira les chercher demain matin. »
Ils remontèrent tous les deux les escaliers et poussèrent la lourde porte qui donnait sur la grande salle. Le soleil s'était couché. Ils furent surpris par l'obscurité et ne purent s'empêcher de frissonner, seuls dans ces profonds ténèbres. Ils s'avancèrent à tâtons dans le noir, toujours éclairés par leur maigre chandelle. Une chouette hulula au dehors.
Soudain, Rosalie vit son compagnon lui confier la chandelle et se transformer. Elle l'interrogea du regard, un peu inquiète. Ses paroles ne la rassurèrent pas davantage :
« Il y a quelqu'un. »
Isaac pouvait mieux capter les changements de l'air et les sons imperceptibles sous sa forme. Il huma l'air, tendit l'oreille, les flancs collés à ceux de Rosalie pour ne pas la perdre. Il pouvait entendre les battements de son cœur d'ici. Rosalie entendit à son tour le frottement d'un vêtement et tressaillit. Jamais l'un de leurs compagnons ne se serait abaissé à pareille plaisanterie. La situation était plus grave qu'ils ne pouvaient le penser. Soudain, un murmure se propagea dans l'air :
« Allez-vous-en. »
Isaac écarta ses quatre jambes, le dos arqué et la tête baissée, ses bois dressés vers l'avant, en position de combat. Rosalie sentait ses poils se dresser sous ses doigts. La blonde brandit la chandelle, mais elle ne distingua rien, aucune silhouette. Et à entendre cette voix très grave, elle ne venait pas d'un petit shapeshifter. Isaac ricana amèrement, à la grande surprise de Rosalie qui malgré elle sentait la peur la prendre. Il répondit en portant la voix :
« Tu as beau te cacher, je pourrais reconnaître ta voix entre mille. »
Le rire de l'inconnu résonna dans toute la salle. Rosalie agrippa les poils dorsaux de Isaac pour lui supplier de lui expliquer. Mais Isaac gardait le silence, les muscles tendus et prêt à se défendre. Il poursuivit ensuite d'une voix froide :
« Je te croyais à Ragnok.
-J'ai toujours aimé voyager, répondit simplement l'inconnu.
-Tu as passé tout l'après-midi à nous observer ? Tu as réussi à te retenir de venir faire du mal à ton père ? Bravo, tu t'améliores. »
Rosalie comprit enfin qui était l'ombre qui les effrayait. Cette dernière rit en réponse à Isaac.
« Tu n'as pas fini de me prendre pour un enfant.
-C'est parce que contrairement à toi j'ai fini par grandir, répliqua durement le chevreuil, les dents serrées.
-Ah oui, j'ai bien vu ton fils gambader dans les Ruines. Ton portrait craché. Enchanté Madame, vous êtes ravissante. » ajouta-t-il, sûrement à l'adresse de Rosalie.
Elle ne répondit rien. Elle était très inquiète, non seulement par la nature de cet échange, mais surtout par la tension qui émanait du corps de Isaac. Ses muscles s'étaient d'autant plus contractés à la mention de Priam. Isaac gronda :
« Ne t'avise pas de t'approcher de nous. Mes bois sont suffisamment longs et aiguisés pour toucher tes organes vitaux. »
Des ricanements fusèrent, non pas de leur interlocuteur, mais d'ombres qui entouraient le couple. Les deux tressaillirent, se mirent dos-à-dos et tournèrent en sur-place pour faire face à toutes ces hyènes dans la pénombre. Hypsos rit à son tour avec splendeur et lança :
« Tu ne peux rien contre un roi sur son royaume. »
Isaac et Rosalie écarquillèrent les yeux et les battements de leur cœur s'emballèrent. Le temps leur sembla s'accélérer à mesure que les ombres se révélaient en murmurant les menaces, sautant d'étagères en étagères et sifflant comme des serpents.
« Allez-vous-en.
-Partez !
-Vous n'avez rien à faire ici.
-Le Maître est en colère.
-Ils sont entrés sur notre territoire !
-Rose, dit Isaac à mi-voix. Il faut partir. Maintenant. On emmène tout le monde et on quitte les Ruines. »
La blonde hocha la tête et s'apprêta à fuir vers la dernière sortie du bâtiment. Et soudain, tout s'embrasa.
Une lueur était apparue devant eux, éclairant un visage masqué et décoré d'un 1. Suite à cela, une douzaine de flammèches s'étaient révélées dans la pénombre, et d'autres masques numérotés apparurent. Il y eut une seconde interminable, puis le monde devint brasier lorsque les allumettes tombèrent à leurs pieds. De peur, Rosalie et Isaac s'étaient recroquevillés sur eux-mêmes, et lorsqu'ils rouvrirent les yeux, les ombres s'étaient volatilisées.
Tandis que le feu avalait les étagères entières de livres pourris, Isaac et Rosalie voulurent d'abord courir vers la dernière sortie. Mais trop tard. Une poutre s'était effondrée devant eux et barrait le passage par la petite fenêtre. Les deux chevreuils firent volte-face, affaiblis par la fumée qui emplissait leurs poumons. D'instinct, ils filèrent vers le dernier endroit qui ne croulait pas sous les flammes : la réserve en sous-sol. Ils dévalèrent les escaliers en toussant, et suivirent à tâtons un point vert qui luisait à la lueur de la chandelle : un panneau de porte de sortie de secours. Ils se jetèrent sur les battants de la porte, Rosalie finit par en briser la poignée, et ils s'engouffrèrent dans un nouvel escalier sombre qui les guida à la surface. Ils coururent à s'en briser les jambes loin de l'incendie et se faufilèrent dans une ruelle.
Les deux amants s'effondrèrent au sol, respirèrent l'air pur durant une longue minute, puis tombèrent dans les bras de l'autre en pleurant de soulagement. C'était la deuxième fois de sa vie que Isaac avait vu la mort d'aussi près. Une fois calmés, ils se regardèrent, les yeux encore pleins d'effroi. Isaac lui dit, le souffle court :
« Rosalie...
-... Oui ?... » Eructa-t-elle, inquiétée par le fait qu'il prononce son nom en entier.
Il reprit sa respiration et lui affirma en lui tenant le visage :
« On ne doit parler à personne de ce qu'on a vu.
-Quoi ? Pourquoi ? S'insurgea-t-elle. Isaac ! On a manqué de finir brûlés vifs, que ce type soit ton frère n'a aucun imp...
-Non, que Hypsos soit mon frère n'a aucune importance ! Coupa-t-il d'un air suppliant. Mais si Kob apprend qu'il est ici, il va chercher à le retrouver au péril de sa vie ! »
Le visage de Rosalie devint livide.
« Pour... Pourquoi ?
-Je ne sais pas. Je n'ai jamais su. Mais cette mécanique malsaine entre eux est trop forte pour qu'elle disparaisse pour de bon. Si Kob continue à ramper à ses pieds, Hypsos va finir par le tuer. »
Isaac posa son front contre celui de Rosalie, les sourcils froncés et l'air profondément désespéré. Il souffla à sa compagne :
« Tu te demandais pourquoi je ne parle jamais de lui, tu as enfin ta réponse. »
Elle finit par renoncer et hocher la tête, au grand soulagement de son époux. Ils quittèrent la ruelle au galop et tournèrent le dos à la bibliothèque qui n'était plus qu'un gigantesque bûcher. Lorsqu'ils revinrent enfin auprès des leurs, ils réceptionnèrent d'abord Priam qui enlaça leur encolure jusqu'à l'étouffement. Kob prit la tête cornue de Isaac dans ses mains en pleurant.
« Que s'est-il passé ? Gémirent-ils.
-Un feu dans la bibliothèque, répliqua rapidement Isaac. Nous sommes sortis avant qu'il ne se déclare. »
Ils regardèrent le nuage noir s'élever au-dessus des immeubles, le cœur chagriné par un tel gâchis. Comme ils n'avaient plus rien à faire ici, ils écourtèrent leur voyage, et prirent le chemin de Ewilem, la charrette tout de même remplie à ras-bord.
Comme convenu, Isaac et Rosalie ne reparlèrent plus jamais de cet événement, mais ne cessèrent pas pour autant de le ressasser dans leur mémoire. Et Isaac, plus que tout, songeait à ces masques blancs et à ces rires de hyènes. Il songeait à son frère, qu'il n'avait jamais considéré comme tel, et contrairement à ce qu'il avait proféré, il avait grandi. Hypsos avait réalisé son rêve : il avait bâti son royaume.
Revenir en haut Aller en bas
Ra' Aden
Administratrice aux perso débiles
Administratrice aux perso débiles
Ra' Aden


Messages : 2686
Age : 23
Humeur :

Belle comme le jour - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Belle comme le jour   Belle comme le jour - Page 3 EmptyDim 23 Jan 2022 - 22:56

Priam et sa mue de serpent  Belle comme le jour - Page 3 1f62d
C'est hyper intéressant tout ce récit sur les humains ! Et j'adore les refs que tu mets aux livres à chaque fois x)
OH MY GOD MAIS CETTE HISTOIRE SUR HYPSOS ME PASSIONNE TROP. Je veux savoir quel animal il eeeeest
Revenir en haut Aller en bas
Elv
Membre du panthéon
Membre du panthéon
Elv


Messages : 2048
Age : 21
Humeur : La pêche!

Belle comme le jour - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Belle comme le jour   Belle comme le jour - Page 3 EmptyMer 26 Jan 2022 - 22:56

Tu sais que j'en suis même pas encore sûre à 100%  Belle comme le jour - Page 3 1f62d (mais j'ai une bonne piste)
Revenir en haut Aller en bas
Elv
Membre du panthéon
Membre du panthéon
Elv


Messages : 2048
Age : 21
Humeur : La pêche!

Belle comme le jour - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Belle comme le jour   Belle comme le jour - Page 3 EmptyDim 27 Fév 2022 - 12:51

Mars 48


Ewilem croulait ce matin-là sous des trombes d'eau descendues du ciel. Le couple de chevreuils était bien ravi que leur matinée leur soit accordée en ce jour, et profitait de leur temps libre pour se lever tard et boire leur thé en regardant la pluie tomber. Il n'y avait rien de plus agréable que d'observer la tempête au dehors, alors que le feu brûlait dans la cheminée et leur boisson fumait dans leurs mains. Isaac poussa même un soupir de contentement.
« Quand même. Il n'y a rien de mieux que de se réveiller quand on en a envie.
-Tu as des rendez-vous aujourd'hui ? Lui demanda Rosalie d'une voix tranquille et reposée.
-Une petite dame qui a des rhumatismes à Waheela, puis un vieux fermier. Et toi ?
-Une femme enceinte dans le quartier de Fer. »
Ils entendirent du mouvement derrière les rideaux. Isaac se mit à ricaner.
« On prend son temps pour se lever à ce que je vois... » Susurra-t-il le nez dans sa tasse.
Priam apparut dans la pièce à vivre, son énorme touffe de cheveux blonds lui tombant devant les yeux et l'air assez maussade. En vérité, c'était son air habituel du matin depuis un peu moins d'un an. Il s'assit lourdement en baillant aux corneilles et lapa son propre thé avec lenteur. Rosalie l'embrassa sur le sommet du crâne.
« Bien dormi, petit moineau ?
-Mh. »
Priam entrait dans cet âge étrange où tout ce qui relevait du monde des adultes et du monde des enfants, au mieux lui était égal, au pire le répulsait. Un âge ingrat où tous autour de lui devaient supporter des sauts d'humeur et des marmonnements inaudibles en guise de parole. Mais les deux chevreuils pouvaient s'estimer heureux. Dans ses pires jours, Priam tout au plus grognait ou bien rentrait dans sa coquille, mais jamais ne versait dans l'agressivité ou le sarcasme blessant. A côté, Lila et Haku devaient supporter un Tim plus tête à claques que jamais.
Mais même si Priam se montrait encore assez conciliant, Isaac et Rosalie ne l'aidaient en rien, en ne cessant de papillonner autour de lui et en ricanant de ses métamorphoses de l'adolescence. Et quand ils se mettaient à se moquer avec gentillesse de sa voix qui muait et de ses ravissants petits boutons rouges, le gentil blondinet ne trouvait rien de mieux que la fuite plutôt que de se mettre à insulter ses parents.
« Je vais voir le vieux Franck aujourd'hui, dit Isaac à son fils. Tu sais, celui qui a des dindes. Tu veux venir avec moi ?
-Non, j'ai quelque chose aujourd'hui.
-Ohoh ! Et qu'est-ce que c'est, ce 'quelque chose' ? »
Rosalie ne reçut qu'un vague marmonnement en guise de réponse. Erreur ! C'était le bouton déclencheur pour les railleries. Isaac roucoula :
« Hahaha ! Moi je pense que c'est un petit 'quelqu'un'...
-Pff... N'importe quoi.
-Quelqu'une ! Ca alors tu comptais nous la cacher longtemps ?
-Comment elle s'appelle ?
-Elle est jolie ?
-Mais lâchez-moi ! » Gémit Priam de sa voix filant en un quart de seconde des graves aux aigus, ce qui ne faisait qu'accentuer l'hilarité difficilement contenue de ses parents.
Il essayait de jeter des éclairs par ses yeux bleus, mais son visage encore enfantin ne le lui permettait pas. Alors il se contentait de soupirer bruyamment, bien que ses joues prissent une teinte pivoine. Mais Rosalie ne lui laissa aucun répit. Elle écarquilla soudain les yeux et fondit sur son visage avec un grand sourire de surprise. Sous les grognements de protestation de son fils, gratouilla la peau de sa mâchoire.
« Isaac regarde ! S'exclama-t-elle. Il commence à avoir de la barbe !
-Oooooh... Notre petit Priam qui devient grand...
-C'est trop mignon, des petits poils tous blonds...
-Mais vous allez me ficher la paix, oui ? S'écria Priam en chassant violemment la main impolie de sa mère. Sérieux, on se demande qui sont les enfants ici ! »
Et sur ce, il quitta tous ces enfantillages en claquant la porte derrière lui. Rosalie et Isaac étaient écroulés de rire sur la table, et en rirent encore plusieurs heures plus tard. Au début de l'après-midi, Rosalie fit son sac. Elle embrassa son compagnon et quitta la maison pour son rendez-vous de la journée. Il pleuviotait encore un peu, les cheveux de la blonde se mirent à friser à cause de l'air humide. Elle remonta les rues, traversa le quartier d'Arion, et passa les grilles du quartier de Fer. Elle se présenta enfin devant la grande bâtisse de pierre et de bois de chêne et toqua à sa porte. Un homme roux vint lui ouvrir, plus jeune qu'elle, à l'allure fière et assurée. Il remarqua son insigne de médecin brodé sur sa poitrine, et lui sourit.
« La sage-femme je présume ? Dit-il en lui tendant une main franche.
-Vous présumez fort bien. Je m'appelle Rosalie.
-Entrez je vous en prie ! Olia vous attend. »
Rosalie pénétra dans la belle maison et embrassa du regard l'intérieur spacieux, plus luxueux que celui de Kob. Elle avait accepté ce rendez-vous quelques jours plus tôt, sans plus s'attarder sur l'identité de sa patiente et sur sa situation financière. Mais l'homme en face d'elle, probablement son compagnon, lui semblait sympathique. D'ailleurs, la patiente elle-même arriva à son tour dans la pièce à vivre, une femme mûre, grande et costaude, alourdie cependant par son ventre rond comme une planète. Elle s'avança, très souriante et l'air joyeux vers le médecin.
« Bonjour Olia, salua Rosalie.
-Bonjour ! Je suis ravie de vous rencontrer, on m'a dit beaucoup de bien sur vous et votre travail. »
Rosalie ne put s'empêcher d'être flattée. Elle agissait surtout dans les quartiers les plus pauvres, alors quand un individu influent venait la complimenter, cela avait toujours un petit effet agréable bien qu'assez immoral. Rosalie hocha poliment la tête. Son époux ajouta :
« Merci d'être venue d'ailleurs. Pour la naissance du petit deuxième, on voulait s'assurer que Olia soit entre de bonnes mains.
-Elle le sera, ne vous en faites pas. Je n'en suis pas à ma première mise bas. » Assura la blonde.
Tandis qu'ils se rendaient vers la chambre pour que Rosalie ausculte Olia, un petit ourson aux poils ébouriffés déboula dans leurs jambes en tenant sa peluche entre ses dents. L'époux prit son premier fils dans ses bras pour qu'il ne fasse pas plus de catastrophes. Olia en rit et étendue sur le lit, laissa la sage-femme tâter son ventre chaud avec sérénité. Rosalie songea pendant qu'elle travaillait que bien que débordant de richesses, cette famille paraissait tout-à-fait adorable. Le beau visage du père, l'air serein de la mère et la frimousse mignonne du premier fils y étaient assurément  pour quelque chose.
« Et quand il sera né, le ventre de Maman il va redevenir tout plat ? Demanda l'ourson dans les bras de son père d'un air ingénu.
-Pas tout de suite Viktor, répondit patiemment Olia. Il faudra attendre quelques semaines.
-Bon, tout va bien, je ne décèle aucun problème, déclara Rosalie en retirant son stéthoscope de ses oreilles. Il faudra compter encore quelques semaines, et il viendra. »
Ils sortirent tous les quatre de la chambre en discutant du futur accouchement. Rosalie, en bonne sage-femme et mère d'un enfant, donnait des conseils à l'ourse, sur les exercices à suivre en attendant la mise-bas, des méthodes pour ignorer la douleur et pour se remettre de l'épreuve. Olia était très à l'écoute. Lorsque son compagnon dévoila un sourire éclatant en imaginant ce futur illuminé, et caressa tendrement le ventre de sa compagne, Rosalie eut un pincement au cœur, se replongeant dans le temps où elle-même était enceinte. Petit Priam est un grand garçon qui fait ses premières barbes maintenant...
La porte d'entrée s'ouvrit soudain, et un homme entra. Olia lança :
« Tu es déjà rentré Papa ?
-La réunion au Conseil s'est terminée plus tôt que prévu, répondit le nouveau venu. Et toi ? Ton rendez-vous avec le docteur ? »
Les regards de Rosalie et de l'homme se croisèrent. Un frisson traversa les entrailles de la blonde. Elle comprit enfin quelle était cette maison.
C'était l'antre du grizzly Alastor, haut membre du Conseil de Ewilem, l'un des pères fondateurs des lois raciales de la Capitale. Un homme qui a avait sa tête affichée avec celle de Rainyd sur le mur du QG des pro-hybrides, couverte de fléchettes. La vie politique mise à l'écart des mains non-pures, c'était lui. La fermeture des commerces hybrides dans le centre, c'était lui. L'encouragement aux lynchages des familles non-pures, c'était encore lui. Rosalie déglutit avec difficulté et s'efforça de sourire.
Alastor retira sa toge de sénateur rouge comme le sang des Non-purs qu'il martyrisait, et se tourna vers la blonde avec un sourire chaleureux. Ils se serrèrent cordialement la main.
« Ah oui, Rosalie, dit-il d'un air aimable. J'ai beaucoup entendu parler de vous. Et de votre mari aussi. »
Rosalie pria pour qu'il ne sente pas la contraction de sa main dans la sienne à la mention de Isaac.
« Son mari ? Demanda Olia, surprise.
-L'époux de Mme Rosalie est un très grand médecin de Ewilem. » expliqua Alastor avec patience.
Le petit Viktor se sauva des bras de son père pour sauter dans ceux de son grand-père. Rosalie fut extrêmement mal à l'aise de voir le politicien câliner son petit-fils comme n'importe quel grand-père le ferait. Elle était mal à l'aise de le voir, tout court. Car Alastor à première vue semblait être un monsieur des plus gentils, des plus agréables et des plus doux qui puissent exister. L'habit ne fait pas le moine, songeait-elle.
« Vous prendrez une tasse de thé ? Demanda Olia.
-O-oui. » Glapit-elle par peur de se trahir.
Contre son gré, Rosalie se retrouva à s'asseoir à la table du puriste, à siroter l'infusion aux feuilles de Varkens, des produits que les populations en périphérie ne pouvaient certainement pas se permettre. En face d'elle était assis Alastor, paisiblement adossé au dossier et les mains jointes sur son ventre rebondi. La blonde voulait avaler son breuvage pour s'en aller le plus rapidement possible, mais il refroidissait beaucoup trop lentement.
« Vous avez des enfants, Rosalie ? » Demanda poliment Olia.
La blonde jeta furtivement un regard vers Alastor. Derrière ses sourcils gris, il l'épiait. Lui sait bien. Il pourrait me décrire l'arbre généalogique de la famille avec tous les petits fouineurs à ses ordres.
« Un garçon de treize ans, répondit-elle sobrement.
-Tu sais Olia, c'est le jeune garçon blond qui vient visiter l'âne qui vit au bout de la rue, ajouta Alastor en se tournant vers sa fille, puis il demanda à Rosalie de nouveau : Kob est son précepteur, non ?
-Son grand-père à vrai dire. Mais il s'occupe de lui enseigner l'algèbre et des rudiments de biologie. »
Le mari de Olia, qui se prénommait Jakob si elle ne se trompait pas, fit les yeux ronds et siffla.
« C'est une éducation digne des érudits, dit-il, impressionné.
-Et c'est une excellente chose, commenta le sénateur. Il faut donner une bonne éducation aux enfants, et cela doit passer par des connaissances solides dans de nombreux domaines. »
Il sirota son thé et jeta un regard tranquille vers Rosalie.
« J'ai déjà proposé au Conseil d'ouvrir des écoles, comme celles des temps anciens. Malheureusement mes idées n'ont pas été entendues. Trop coûteux...
-Quel dommage, répondit Rosalie avec un sourire convenu. Les enfants purs et non-purs auraient pu y être éduqués ensemble. »
Une superbe vague de malaise s'effondra sur la tablée. Olia pinça les lèvres, jetant des regards entre Rosalie et Alastor, puis se leva en marmonnant qu'elle allait refaire du thé. Le visage de Jakob s'assombrit, mais il ne répondit rien. Et Alastor, égal à lui-même, gardait ce petit sourire suffisant, mais ses yeux bleus sombres traversait le visage de l'importune en face. Il la regarda longuement, puis lâcha soudain, l'air toujours aussi calme et serein :
« Je me souviens, il y a quelques années... Un jeune homme... Jeune père d'ailleurs. Un fauteur de troubles. Nous voyions souvent son visage lors des émeutes des périphéries. Toujours présent, à prendre la tête des mouvements de protestation, il se dressait devant les gardiens de la paix et leur lançait des tomates à la figure. J'ai entendu qu'une nuit il ne s'est pas montré assez prudent et s'est fait agresser... Maintenant nous ne le voyons plus au grand jour... »
Une veine se gonflait dans le cou de Rosalie. Elle éructa à voix basse, sous le même ton que son interlocuteur :
« On raconte que c'est un membre du Conseil qui a engagé des voyous pour le lyncher devant les yeux de son fils... Maintenant il a compris que la liberté d'expression ne fait pas partie de la Table des Lois.
-Je ne suis pas responsable des coups portés à cet homme, cependant, je n'en dirais pas tant pour des personnes de mon entourage... »
Soudain, Olia fit irruption et posa avec violence la théière entre les deux adversaires, le visage fermé. Elle coupa d'une voix glaciale :
« Rosalie, je vous remercie d'être venue, voilà votre paye. »
On lui versa quelques pépites d'or dans sa bourse et on la raccompagna à la sortie. Lorsque Olia referma la porte derrière elle, Rosalie entendit quelques bribes venant de la maison. La jeune mère disait d'une voix froide :
« Merci Papa. Maintenant sois sûr qu'elle refusera de s'occuper de l'accouchement. »
Rosalie ne voulut pas en entendre davantage et se dépêcha de quitter le quartier. A marche rapide, elle remonta les rues, le visage fermé et les mains tremblantes de fureur. Elle avait un peu de peine pour Olia qui semblait être la plus pure des trois, mais toutefois elle avait raison : jamais de sa vie elle ne remettrait les pieds dans cette demeure de fous. La blonde était si en colère qu'elle percuta de plein fouet un jeune garçon sans s'en rendre compte. Elle releva la tête.
« Oh veuillez m'excus... Bah ! Priam ? Qu'est-ce que tu fais ici ? »
Le blondinet jeta un regard effaré à sa mère.
« Tu n'avais pas rendez-vous ? Poursuivit-elle, contente que son fils soit là pour lui changer les idées.
-Si mais... »
Son regard glissa vers ses pieds. Rosalie sentit que quelque chose n'allait pas. Elle lui toucha l'épaule, consciente qu'en ce moment il n'aimait pas trop qu'on le câline en public, et lui désigna un bar au bout de la rue.
« Tu veux qu'on aille manger ensemble ? »
Assis l'un en face de l'autre et devant une plâtrée de tartines de chèvre-miel, ils commencèrent à manger lentement. Rosalie avait encore des palpitations de son altercation, et quelque chose tracassait Priam. Elle attendit qu'il parle, ce qui arriva au bout de quelques minutes.
« Elle s'appelle Tallulah.
-Ah ! Donc j'avais raison ! Ca fait combien de temps ?
-Ca fait rien du tout Maman ! Elle a refusé. »
Le pauvre petit moineau triturait du bout de sa fourchette son morceau de fromage, malheureux comme une pierre. Rosalie eut un sourire de compassion et lui frotta gentiment l'épaule.
« Allez, ça va aller. On passe tous par là. Elle t'a dit les raisons ? Elle a déjà quelqu'un ? »
Priam rougit de honte.
« Non. Elle m'a ri au nez et m'a jeté ma lettre à la figure.
-Oh la vilaine !... Attends ! Ta lettre ? Oh non Priam... Ne me dis pas que tu lui as écrit un poème... »
Les joues du garçon, déjà assez rosées, prirent la teinte d'une écrevisse trop cuite. Il minauda comme une jeune fille amoureuse :
« Je pensais que ça lui plairait...
-Priam euh... C'est très romantique un poème, mais... Tu n'es pas... Tu n'as pas la plume de Rimbaud disons... »
Priam enfouit son visage dans ses bras. Rosalie sentait émaner sa honte et sa détresse de son corps. Elle cacha son sourire amusé derrière sa main mais ne put s'empêcher de lâcher un petit rire.
« Elle m'a aussi dit... Bafouilla-t-il, caché dans ses manches.
-Quoi ?
-Elle m'a aussi traité de sale intello. »
Rosalie fronça les sourcils. Elle s'empara d'une tartine et la dévora à grandes bouchées, l'air grincheux. Elle n'appréciait pas qu'on insulte son petit poussin blond, surtout si ça venait d'une greluche.
« Bah, lui dit-elle. Elle te mérite pas, va. De toute façon, les filles c'est nul.
-Ouais, murmura Priam en dévoilant un maigre sourire. Les filles, c'est nul. »








Avril 48


Rosalie prit une pancarte. C'était Anissa qui l'avait confectionnée. Elle avait toujours eu cet excellent coup de crayon. Sous ses traits noirs au pinceau l'on reconnaissait à merveille l'homme doublé de ses deux autres formes, déchiré par des traînées de sang à la peinture rouge. Xavier et Anissa s'étaient emparés de la grande banderole qui ouvrirait la marche. Silencieux mais déterminés, tous les shapeshifters sortirent du QG et se rendirent sur la place du marché, où tout devait commencer. Sous les yeux soit indifférents, soit méprisants des passants, ils se joignirent aux groupes des périphéries, et ensemble, ils formèrent une foule dense et compacte. C'est Xavier qui prit la parole en montant sur les épaules d'un comparse. Il mit ses mains en porte-voix et cria aux manifestants :
« Souvenez-vous que nous leur donnerons aucune raison de s'attaquer à nous ! Nous sommes les êtres civilisés, ils sont les barbares : montrons-leur que nous ne souhaitons que la paix et l'égalité ! »
Cette atmosphère de calme et de dignité qui enveloppait cette foule contrastait gravement avec les manifestations d'antan auxquelles avaient participé les chevreuils. Des explosions de folie, de rancœur et de moqueries acerbes. Mais depuis l'agression de Isaac, ils ne participaient plus à ce type d'action à visage découvert. Haku et Xavier qui étaient pères eux aussi avaient pris conscience en voyant le corps de leur ami à l'hôpital que de même, ils pouvaient mettre leur famille en danger. La mode était alors revenue aux manifestations humbles, pacifiques, mais empreints d'une grande dignité dont s'armaient les activistes pour faire face aux chiens de la milice.
Ils se mirent en marche et remontèrent les avenues une-à-une sous les yeux des passants et des miliciens. Isaac tint soudain la main de Rosalie et lui jeta un regard, confiant. Ils étaient toujours présents, à soutenir la population opprimée, et jamais ils ne jetteraient les armes. Rainyd prenait de plus en plus de pouvoir, les sénateurs, aussi bien à Ewilem qu'en province, étaient de plus en plus nombreux à s'allier à lui. Le soir, lorsque leurs amis venaient dîner à la maison, ils débattaient toujours plus intensément sur les possibilités d'une guerre et d'une catastrophe à venir. Certains le niaient, aussi bien par conviction que par terreur, d'autres hochaient lentement la tête, le teint livide. Rosalie serra la main de Isaac dans la sienne. Ils se sentirent transportés à Aust, lors de leur toute première manifestation à deux, là où tout avait commencé.
Les manifestants entonnèrent un chant grave :
« Les temps sont révolus et ce peuple se lève,
Puissant et résolu, ivre de liberté.
Dormez, frères dormez !
Mais qu'en l'ombre du rêve
Eclate dès ce jour votre immortalité... »

Le temps passait, les révolutionnaires avançaient dans la rue et les couplets. Ils entrèrent dans le quartier d'Arion, les rangs de la milice se grossirent. Leur marche s'arrêta devant le haut portail de la Salle du Conseil. Il était prévu qu'ils s'asseyent, qu'en tailleur, ils toisent les gardes et les sénateurs et restent là, calmes et insoumis, comme une marée montante. Des ombres hostiles s'amassaient derrière les grilles. Ils fixaient les manifestants avec une grande froideur. Rosalie vit les prunelles bleues pétrole de Alastor briller dans l'ombre des arbres. Devant les grilles de la Salle du Conseil, les rangs se serrèrent. Haku fit un signe, et le dernier couplet de la chanson retentit dans l'air printanier :
« Qu'un maître en son palais ait sa fête dernière ;
Qu'il abreuve de vin ses bourreaux, ses valets !
Demain ! Fête à demain ! Fête en toute chaumière !
Et fête pour tous ceux qui traînent le boulet ! »

La milice s'assembla devant les grilles, leurs arbalètes en main. Les gardes se dressèrent entre la Salle et la foule. Leur chef brandit une main. La chanson finie, le silence était revenu dans la rue. Dans la Salle du Conseil un cor sonna. Une nuée de corbeaux s'envola. Le chef baissa le bras.
Des cris déchirants retentirent et la foule explosa en un nuage informe d'hommes et de femmes en proie à la panique. La milice réarma ses arbalètes et les pointa de nouveau sur la foule en délire. Ils tirèrent encore une fois. Rosalie avait perdu Isaac dans le mouvement. Pendant qu'elle courait au milieu des siens, elle zigzaguait en jetant des regards fous autour d'elle, son cœur cognant dans sa poitrine. Ils couraient toujours plus vite, marchaient sur les corps ensanglantés, se poussaient et hurlaient à pleins poumons. Les pancartes étaient au sol, piétinées et déchirées. La milice lança une dernière salve sur les shapeshifters, alors qu'ils les fuyaient et qu'ils n'avaient plus que leur dos à lui offrir.
Rosalie retrouva ses compagnons dans le quartier Nord, dans le centre hospitalier où s'étaient réfugiés de nombreux manifestants blessés. Isaac et Xavier transportaient Anissa. Ils ne purent la coucher sur un matelas, tant son corps était parcouru de spasmes et sa bouche vomissait des coulées de sang. Ses yeux rouges roulaient dans leur orbite et ses mains battaient l'air. Couchée sur les dalles de l'hôpital, elle criait des paroles incompréhensibles à travers les gerbes de sang qu'elle crachait, hurlait une souffrance inimaginable. Les carreaux fiché dans son cou et dans son abdomen eurent raison d'elle, et avant même que Isaac ne puisse dérouler des bandages, elle s'arrêta de vomir et ses prunelles se figèrent.
Ce fut leur dernière marche pour les droits des Non-purs.


NDT : la chanson est un extrait du chant révolutionnaire Chant des martyrs (1905)
Revenir en haut Aller en bas
Ra' Aden
Administratrice aux perso débiles
Administratrice aux perso débiles
Ra' Aden


Messages : 2686
Age : 23
Humeur :

Belle comme le jour - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Belle comme le jour   Belle comme le jour - Page 3 EmptyDim 27 Fév 2022 - 13:37

Gihi j'attendais la suite avec impatience Belle comme le jour - Page 3 1372387614
MDR FRANCK ET SES DINDES ooh et puis la famille d'Alastor (feu Alastor Neutral )
OH NON LE RATEAU DE PRIAM ENFER ET DAMNATION

Eh beh ça devient de pire en pire. je trouve ça génial que tu écrives cette histoire parce que ça donne vraiment un contexte à la guerre des ethnies !
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé





Belle comme le jour - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Belle comme le jour   Belle comme le jour - Page 3 Empty

Revenir en haut Aller en bas
 
Belle comme le jour
Revenir en haut 
Page 3 sur 5Aller à la page : Précédent  1, 2, 3, 4, 5  Suivant
 Sujets similaires
-
» Un jour comme un autre [Lord]
» La Lune est si belle - Ra' Aden
» Sapé comme jamais... ! [Past]
» Mise à jour !

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Legend of Shapeshifters :: Hors-jeu :: Histoire d'un jour-
Sauter vers: