Retour aux sources

         Comme prévu, trois jours plus tard, Wade débarqua devant la renardière, fin prêt et équipé. Il avait revêtu sa tenue d’assassin, un ensemble noir, prêt du corps mais pas moulant. La plupart des hommes de main portaient un plastron en cuir, censé protéger des lames, pour finir la tenue mais lui l’avait sous son haut. Selon le tigre, le mettre au dessus avait le même effet qu’écrire "je vais me battre" sur son front. Il avait bien sûr divers poignards et couteaux accrochés à son bras gauche et sa jambe droite. Il trouva Ava à l’extérieur qui finissait de lacer ses chaussures. Elle leva un sourcil à son arrivée.
"Wah. T’as sorti le grand jeu."
Il lui répondit par un sourire radieux.
"Toujours."
Elle se releva et lui indiqua la porte.
"Allez viens ils sont tous à l’intérieur."

         Une dernière mise au point quant à la stratégie et un discours d’encouragement plus tard, Wade était dehors, remontant le quartier d’Arion. Les autres étaient partis dans leurs souterrains. Il marchait donc en sifflotant dans les rues de cet Ewilem désolé. Il était surpris que personne ne lui ai encore sauté dessus, mais finalement, arrivé aux abords du lieu diplomatique, quatre têtes sortirent de derrière une barricade et on lui aboya dessus.
"Halte ! Déclinez votre identité !"
Wade prit un air suffisant.
"Oh ça va. Pas la peine de parler comme les puristes." Mais voyant que les hommes avaient resserré leurs poignes autour de leurs armes, il continua. "Je suis Wade. L’ancien assassin de Rainyd. Je viens juste voir ce qu’il se passe pour cette ville. Enfin je veux dire, comment c’est géré."
Il ponctua sa phrase d’un grand sourire certes un peu hypocrite. En face, un des types, qui avait selon Wade de grandes dents, le pointa du doigt et dit à son chef.
"C’est lui."
Le chef fronça les sourcils.
"Dégage de là."
Wade leva les yeux au ciel.
"C’est pas possible vous avez que ce mot là à la bouche ici !"
Mais les quatre hommes s’avancèrent pour lui barrer la route. Le chef, visiblement très fier de lui, le toisa.
"Tu te crois malin hein, tu penses pouvoir nous prendre pour des cons. On sait que t’es de mèche avec ces parasites de la renardière. On vous observe. On a vu votre petit manège au minotaure. Alors si tu crois qu’on va te laisser rentrer tu peux te torcher."
Wade secoua la tête.
"Elle est stupide cette fille je lui avait dit que ça tenait pas debout son plan." Mais il continua à avancer alors que les gardes restaient campés sur leurs positions. Voyant qu’ils ne bougeaient pas, Wade siffla d’exaspération. "C’est pas vrai, je vais encore devoir faire le bourrin."
Et sur ce, il dégaina un poignard à la vitesse de l’éclair qu’il envoya dans l’oeil du chef. Le type tomba au sol et celui aux grandes dents se jeta sur Wade qui l’envoya au tapis d’un coup de coude dans la mâchoire. Les deux autres arrivaient sur lui mais Wade décida d’appliquer une stratégie qu’il utilisait peu : courir. Le tigre passa en trombe entre les deux gardes qui réussirent à entrechoquer leurs épées et fonça droit vers la porte de la salle du conseil. Malchance pour lui, le terrain était en pente, la salle se trouvait en hauteur. Ah ça, il pouvait remercier ses joggings nocturnes à Ragnok. Pendant qu’il courait comme un dératé, il essayait de sortir sa clé de sa poche. Évidemment, elle était coincé dans un fil et à force de tirer comme un bœuf, il finit par découdre le côté de son pantalon. Il jura mais arriva enfin à la porte, les deux hommes sur ses talons. Sans réfléchir, il ouvrit en grand les deux battants et les referma aussi sec. Il entendit un énorme boum, signe qu’un des types s’était pris la porte en pleine face. Il n’eut pas le temps de ricaner puisqu’il se retrouva face à une demi douzaine de paires d’yeux qui le fixèrent un instant sans comprendre. Si il n’avait pas pu compter sur son intelligence, Wade pouvait au moins compter sur sa rapidité. Il verrouilla en vitesse la porte et tandis que les autres se jetaient sur lui, il hurla à plein poumons :
"BANZ... Ah putain c’est la honte. AVA BOUGE TON CUL !"
Et la bataille fit rage.

         On se jeta d’abord sur Wade mais du fond du bâtiment, depuis les tunnels, les membres de la renardière déferlèrent. Ils débarquèrent dans le hall, prenant par surprise leurs ennemis. On entendit un assiégé hurler.
"LA CLÉ. AMENEZ LA CLÉ !"
Celui qui avait crié ça se prit un coup de poing de Wade en pleine face ce qui le dissuada de continuer. Mais malheureusement pour le tigre, il était une cible de choix et on venait de le planter à la côte par derrière. Une chance qu’il ait ce plastron et que cette lame soit sans doute émoussée. Il se retourna avec un air mauvais collé au fond des yeux.
"Bah alors, on a oublié ce que c’est que l’honneur ?"
Le type sembla se faire dessus et Wade, décidant que si honneur bafoué il y avait, réparation il devait y avoir, lui cracha tout simplement à la figure, profitant des pas de reculs de l’homme, il le fit tomber au sol et lui écrasa la gorge. Mais avant qu'il ait pu en finir, il se retrouva tiré en arrière et étranglé à son tour. Des renforts arrivaient depuis l’intérieur du bâtiment. Heureusement pour lui, Wade était souple et dans cette position, à force de se débattre, il réussit à envoyer son pied assez haut pour frapper le visage de son agresseur. L’autre se tint le nez mais dégaina un poignard et Wade en fit de même. Les deux se firent face et bientôt l’homme commença ses attaques. Il frappait haut, visant le visage. Wade contra au départ les coups, essayant de fatiguer son adversaire mais finalement c’était lui même qui s’essouflait. Alors il rassembla ses dernières forces et essaya de pivoter le plus possible autour de son adversaire pour le déstabiliser. La technique sembla porter ses fruits puisque l'homme cessa de faire attention à ses appuis et se trouva déséquilibré. Il s’en tira avec une dague dans la gorge et Wade une longue coupure à la joue qui saignait abondamment.

         La bataille fut féroce mais rapide. Les plus chanceux du groupe de Siméon se retrouvèrent ficelés et les autres ne purent malheureusement pas voir ce désastre. Wade se tint à l’écart de la chose. Il avait accompli sa mission. Pour le reste, il laissa le soin aux équipes d’Ava de faire le ménage. Il entendit justement cette dernière qui déclarait aux autres.
"Virez les hors d’Ewilem. Foutez les dehors, on surveillera les entrées et si ils essaient de revenir ce sera la peine capitale."
Alors comme ça elle faisait sa propre purge ? Décidément c’était à la mode ces temps-ci. Wade marcha jusqu’au seuil de la salle du conseil. Cette grande clairière qui autrefois transpirait le prestige ne ressemblait plus qu’à un buisson malfamé. Des ordures jonchaient le sol et les tables avaient été taguées. Il soupira. Le vieil Ewilem lui manquait. Mais une main sur son épaule vint le tirer de ses pensées. C’était Ava, avec quelques traces de sang sur le visage mais rien de sévère. Elle lui sourit.
"On peut dire que c’est une réussite."
Le tigre reconstruit l’histoire dans sa tête et marmonna :
"Mouais." Si on passait outre la course poursuite, le trou dans le pantalon et les renforts imprévus. "T’as de la chance que ça soit des abrutis fini. Ça aurait pu très mal tourner. D’ailleurs, je croyais que c’était les puristes qui avaient repris le contrôle d’Ewilem ? Pas cette bande de crétin."
Ava lui fit signe de s’asseoir et ils prirent place sur un des bancs du conseil.
"C’est plus compliqué que ça. Accroche toi ça va être long. Oui, au départ ce sont les puristes qui ont renversé l’armée rebelle juste après la libération des ghettos d’Ewilem. C’était des civils. Ils ont tué toute les figures d’autorités, rebelles surtout, mais aussi certains anciens politiciens au cachot. En bref tous les non Ewilemiens, non purs et personnages politiques y sont passés. Les autres civils ont fuit mais ça a été un bain de sang." Elle soupira en repensant à ces familles, fraîchement libérés des ghettos qui se retrouvaient une fois de plus confrontés à l’horreur. "Après ça, ils ont décidé qu’Ewilem serait affranchis des autres villes et ils ont fermé les entrées, barricadé les sorties. Au départ ils étaient assez nombreux pour surveiller tout le tour alors c’était pire que le quartier sectaire, mais en vérité, ça n’a pas duré longtemps. Une première partie de ces nouveaux dirigeants sont morts de leurs blessures. Comme je te l’ai dit, les médecins ont déserté. Mais pas qu’eux. Aussi les herboristes, les éboueurs, les porteurs d’eau. En bref, la ville est devenue insalubre et vide de soin. Je te fais pas un dessin mais les anciennes blessures de guerre se sont infectées et beaucoup en sont morts. Pour le reste, ils se sont rendus compte que de se renfermer sur eux même n’était pas la solution. Pour manger je veux dire. La situation est devenue quasiment la même que le siège de Ragnok. Il ne restait plus que des carnivores, les herbivores n’était pas assez fous pour rester ici. Alors les gens ont essayé de sortir pour aller chasser dans la forêt mais ils se faisaient tirer dessus comme des lapins. Les ‘nouvelles’ autorités ne voulait pas que la ville ait de contact avec l’extérieur alors personne ne devait sortir. Il y a eu des révoltes, des coups d’état et c’est devenu un gros bordel." Elle même avait du mal à expliquer cette situation dont elle avait du mal à saisir tous les tenants et les aboutissants. "La salle du conseil change d’occupant toutes les semaines et au final, personne en a grand chose à foutre. C'est même plus une question d'idéologie. Y a plus de règle maintenant, seulement quelques gangs qui essaient de gagner du pouvoir en rackettant les gens aux sorties ou en volant et tuant tout simplement. Tout le monde fait ce que bon lui semble, y a plus d’intermédiaire pour régler ses comptes. Tout ça n’a plus vraiment de sens. Même les barrières sont inutiles puisque de toute façon on sort pour chasser. Voilà, c’est pour ça que je ne me vois pas occuper la salle du conseil. Ça sert à rien. Et puis de toute façon je suis pas politicienne, je rencontrerais le même problème que les civils qui se sont révoltés. Il ne suffit de s’asseoir ici et de déclarer des choses. Il faut savoir ce qu’on fait et ce n’est pas mon cas. Alors maintenant on se bat pour un tas de caillou. Il n’a plus aucune valeur si ce n’est symbolique. On se bat pour essayer de tirer le moins de désavantages de cette situation."
Wade était resté silencieux pendant toute l’explication. Cette situation manquait de logique. Selon lui, il suffisait presque que les habitants reviennent chez eux et qu’un nouveau conseil siège ici pour qu’Ewilem soit de nouveau appelé capitale. Il déclara simplement :
"C’est ridicule. Ça rime à rien. Si Ewilem n’est même plus puriste elle devrait retrouver son statut."
"Je suis bien d’accord avec toi. Mais je pense qu’à l’extérieur on s’en fout. Les autres cités ont déjà bien assez à faire avec elles même pour s’occuper de nous. Et c’est pas comme si Ewilem leur avait été d’une grande aide pendant la guerre. J’ai l’impression qu’on est tous englués dans un truc qui nous dépasse. Ceux qui ont commencé tout ça ne sont plus et nous on continue de subir sans arriver à s’en défaire. J’y comprend rien non plus."
Wade haussa les épaules.
"Peut-être qu’au fond vous êtes bien comme ça. Pas de milice pour faire chier."
"Peut-être. Ou peut-être qu’on essaie d’être aveugles et sourds face à ce monde qui change."
Les deux se mirent à fixer la table, les yeux perdus dans le vague. Cette guerre avait tout remis en cause, jusqu’au but même de cette vie. Pour Wade comme pour Ava, c’était nager dans un brouillard constant. Finalement, la jeune femme sorti de sa torpeur et secoua la tête, souriant à Wade.
"Allez, rentrons. On a quelque chose à fêter."

         Le terme fêter avait peut-être été un peu trop gracieux. C’était une véritable beuverie qui attendait les victorieux à la renardière. C’était à se demander comment il était possible d’avoir encore de telles réserves de sève en plein isolement de la ville. Alors aussitôt que l’équipe avait fait son retour, on les avait assis sur les banc, fourré un verre dans une main et à manger dans l’autre. Lazare s’était surpassé en cuisine, n’arrêtant pas de répéter qu’il allait les avoir ses fraises. Ava se prêtait au jeu, livrant son récit à ceux qui n’avaient pas été présents, et Wade ne manquait pas de la reprendre pour ajouter des détails. En bref, la soirée suivait son cours et ils avaient même eu droit à une chanson de Pablo. Enfin, ça, c’était plutôt considéré comme une punition.

         La nuit était maintenant bien avancée et la plupart des fêtards avaient abandonné le navire pour aller se glisser dans leurs lits. Il restait un petit groupe, bien attaqué, qui refaisait le monde en scrutant les étoiles, allongés sur le toit. A l’intérieur, ne restait plus que Wade et Ava autour d’un dernier verre. Ava fixait le tigre, s’interrogeant sur ses intentions. Le fait qu’il ait accepté de les aider sans trop se faire prier la faisait réfléchir. Ce n’était pas ce qu’elle avait entendu ni même vu de lui. Un personnage comme celui de Wade suscitait beaucoup de rumeurs, il était relativement connu alors il suffisait de tendre l’oreille pour entendre ce que l’on voulait. Du moins, lorsque les rues de la capitale étaient encore peuplées. Ava avait appris à mettre de la distance entre les racontars et la réalité mais elle devait avouer que dans le cas du tigre, cet égoïsme et opportunisme dont on le couvrait était la cruelle réalité. Mais la ville avait changé et ses habitants aussi, même cette cause perdue d’ancien assassin. Elle avait toujours peur de se fier à lui mais son aide aujourd’hui lui faisait gagner des points. Pourtant, de l’avoir face à elle, seul à seul, faisait remonter des souvenirs. Avec la prise d’Ewilem, elle s’était écartée de son objectif principal, mais à cet instant, sa mémoire sembla lui revenir. Elle posa son verre et commença :
"Faut que je te dise un truc Wade. Si j’ai commencé à m’intéresser à toi c’était pour avoir des infos sur Rainyd." Il leva les sourcils. "Je sais que tu sais, mais laisse moi t’expliquer. Mes parents ont été emmenés par la milice quand j’avais 15 ans à cause d’un objet qu’ils ont découverts dans les ruines. Je ne les ai plus jamais revu. Je ne sais pas ce qui leur est arrivé. Pourtant j’ai cherché longtemps mais rien à faire. J’ai essayé de suivre la piste du conseil, d’enquêter sur les membres mais pareil ça n’a rien donné. C’est pour ça qu’à travers toi j’ai essayé d’en apprendre plus sur Rainyd. Je sais pas, je me suis dis que peut-être, c’était lui qui les avait emprisonné, ou tué, ou j’en sais rien." Elle releva son regard vers lui. "Mona et Noé. Deux ocelots. T’aurais pas entendu quelque chose ?"
Wade s’était d’abord tendu à l’entente de ce récit. Il n’était pas quelqu’un à vivre dans le passé alors chercher des parents disparus... Et puis, tout cela lui faisait bien trop penser à sa rencontre avec Elv et la recherche de son père. Il secoua la tête.
"Non. Tu sais, Rainyd et moi on était pas spécialement copains. Je lui servait de bourreau, pas de journal intime."
Elle croisa ses mains sur la table.
"Ouais. D’ailleurs je me suis toujours demandé comment il te donnait tes boulots."
Wade rit.
"Officiellement j’étais son coursier. Je le disais jamais parce que c’était pas très glorieux. Mais au moins je pouvais rentrer dans la salle du conseil comme je voulais, les gens pensaient que je faisais les courses de Rainyd ou délivrait ses messages." Ava avait du mal à cacher son rire. Imaginer Wade larbin était à se rouler par terre. Atterré par cette réaction, Wade se défendit. "C’est pour ça que je disais que j’étais boucher ! Bref. Soit je venais directement le voir, soit c’était lui qui me convoquait. Il me donnait un nom, parfois un contexte et je m’en occupais. C’est tout." Il sembla enfin comprendre ce qu’Ava sous entendait. "Si tes parents sont morts, c’est pas de ma main. Et pour ce qui est des prisons, je traînais pas beaucoup par là."

         Ava fixait Wade, semblant réfléchir. Il avait l’air de vouloir l’aider mais elle n’avait toujours pas confiance. Pourtant son récit marquait une grande avancée dans son enquête et il pouvait encore l’aider sur un point. Mais elle hésitait. Elle hésitait à lui confier ce secret jalousement gardé. Pourtant la balance penchait fortement en sa faveur, la curiosité d’Ava y ajoutant du poids. Alors finalement elle craqua.
"Tu peux peut-être encore m’aider. Tu connais beaucoup de noms du paysage politique d’Ewilem non ?"
"Ouais on peut dire ça."
"Ok. Juste, promet moi de garder ça pour toi."
Il eut un grand sourire.
"Oh, là tu m’intéresse."
Mais Ava ne riait pas. Elle se redressa et son poing se resserra.
"Je suis très sérieuse Wade. Je te fais pas totalement confiance et c’est une information sur la base même d’Ewilem. Je ne joue pas avec ça."
Mais Wade continua de sourire.
"Si tu ne me fais pas confiance, tu n’a rien à gagner à me faire promettre. Visiblement ma parole ne vaut rien."
Le regard d’Ava se fit plus dur.
"J’essaie simplement de te traiter comme mon égal. Considère ça comme un pas en avant."
Ils se jaugèrent un instant du regard et Wade capitula.
"Très bien. De toute façon si je trahis ma promesse, notre accord ne tient plus."
Ava hocha la tête et inspira profondément. Elle continua.
"Le but de mon entrée en salle du conseil la dernière fois c’était pas uniquement de foutre le bordel. Je voulais mettre la main sur deux documents importants. Je sais pas si tu en déjà entendu parler mais il y a le registre des prisonniers, avec les noms et sentences de tout ceux qui ont été incriminés, et le recueil de la ville avec l’histoire d’Ewilem, ses politiciens, les gens importants, les avancées technologiques et les grandes affaires qui ont secoué la ville. Me demande pas comment j’ai appris l’existence de ces bouquins, en tout cas, les gens de la renardière savent pour le premier mais pour le deuxième. Je l’ai gardé caché. En tout cas pour l’instant, j’ai rien trouvé qui m’a aidé. Est-ce que tu serais capable de reconnaître des noms où événements qui pourraient être liés à mes parents ?"
Mais en face d’elle, Wade souriait.
"Je t’aurais jamais pensé aussi malhonnête. Finalement on est pas si différents."
Ava tâcha de cacher son inquiétude par un sourire quelque peu hypocrite. Pour l’instant, une partie d’elle lui criait d’en dire plus mais l’autre de se méfier du tigre. Mais elle n’eut pas le temps de répondre puisque Wade poursuivit.
"J’avais jamais entendu parler de ces trucs mais c’est intéressant. Je peux essayer de voir ça."
Elle ricana.
"Surtout que je sais que tu sais lire maintenant."
Il prit un air suffisant.
"Je suis atout majeur dans ton enquête."
"Prends pas trop la grosse tête non plus. Bouge pas je reviens."
Dans l’escalier qui menait à la chambre, Ava doutait toujours. Mais la curiosité l’emportait alors elle se pencha sur le coffre et le déverrouilla.

         Quelques minutes plus tard, Ava était de retour avec les deux grands ouvrages qu’elle déposa sur la table dans un nuage de poussière. Elle saisit le moins épais et le donna à Wade.
"Tiens, commence par celui des prisonniers."
Wade fit courir le livre entre ses doigts. Il était typique d’un ouvrage de shapeshifter. Ici, la littérature n’avait pas une grande place. La plupart des gens ne savaient pas lire alors apprendre à faire du papier ou encore retrouver le secret de l’imprimerie n’avait pas grand sens. Ce livre était donc constitué de pages blanches arrachées dans des ouvrages humains, une couverture de cuir épaisse, le tout relié par du fil solide. Le registre n’était pas beau mais il tenait à travers les âges. Wade l’ouvrit. A l’intérieur, l’encre bavait par endroit ou était rendu difficile à déchiffrer. Il le feuilleta, essayant de retrouver les années qui pouvait l’intéresser. Décidément, il n’y avait pas que pour Ava que ce livre allait être utile, lui même allait pouvoir apprendre bien des mystères sur Ewilem. Innocemment, il lui demanda.
"En quelle année ils ont disparus ?"
"47."
Voyant que les yeux du tigre pétillaient, elle lui lança.
"Je te laisserais le prendre chez toi en contrepartie. Tu dois avoir des trucs à y trouver toi aussi."
"Tu crois pas si bien dire."
Elle secoua la tête. Elle était sur un fil tendu, si Wade décidait de ne jamais lui rendre, cet ouvrage disparaîtrait dans la nature. Elle n’avait plus qu’à compter sur la bonne foi de l’assassin. Voyant que rien ne semblait lui sauter aux yeux dans la partie dédiée à l’année 47, elle poussa le second livre vers lui.
"Tiens, dans celui là tu trouvera peut-être d’autre choses. Y a toute une partie sur ton ancien patron d’ailleurs."
Les yeux de Wade brillaient d’intérêt lorsqu’il se saisit du recueil.
"Putain si on m’avait dit que je passerais des nuits blanches sur des bouquins en venant ici."
Il ouvrit le recueil et le feuilleta un petit moment, perdu dans la partie des avancées technologiques. Ava elle même, parcourait les pages du registre. Après un petit moment, Wade releva la tête.
"C’est à cause d’un objet qu’ils ont été arrêté ?"
Ava hocha la tête.
"Oui. Un espèce de boiter noir avec des boutons et une antenne."
"Qui faisait du bruit ?"
Ava sauta sur ses pieds et se précipita derrière lui.
"Exactement. Tu as trouvé quelque chose ?"
Wade hocha la tête.
"Regarde ce passage. Le boîtier. La technologie des humains se révèle une science obscure et inexpliquée. Au cours de l’année 47, un objet pouvant emmètre du son fut saisit à une famille. Le rectangle noir aussi grand qu’une main, parsemé de touches et pourvu d’une antenne avait été trouvé dans les ruines. Tiens regarde y a même un croquis."
Ava n’en revenait pas.
"Ouais ouais c’est bien ça." Son cœur se serrait de voir cette image de l’objet devant ses yeux. Après tout, elle était responsable de l’emprisonnement de ses parents. Wade secoua la tête.
"Y a rien sur ta famille."
Mais soudain, Ava pointa un endroit de la page.
"Regarde, y a une astérisque.Affaire classée sous le code Hings, page 557 du registre."
Il y avait encore de nombreuses pages de recherches sur l’objet qui le rapprochait d’ouvrages sur le sujet trouvés dans les ruines. Mais ce n’était pas ce qui intéressait Ava. Elle se saisit du registre et ouvrit la dénommée page.
"Affaire Hings. Afin d’éviter toute recherche malintentionnée ou dangereuse pour la société, le nom d’aucun protagoniste ne sera divulgué. En 47, un objet jugé dangereux fut saisi à A et B. A et B furent emmené par la milice et leur procès se tint 7 jours plus tard. Le j... Ah putain de merde l’encre bave ici j’arrive pas à lire !"
Ava pouvait entendre le sang battre à ses tempes. Elle trouvait enfin quelque chose et voilà que le monde était contre elle. Mais elle n’allait pas se laisser se faire. Elle attrapa la bougie sur la table et la positionna de l’autre côté de la page. De cette façon, elle allait pouvoir déchiffrer les traces qu’avait laissé la plume contre le papier. Wade la regarda un instant, elle était tant absorbée qu’il aurait pu disparaître sans qu’elle s’en rende compte.  A la place, il fourra le recueil de la ville dans son sac et sourit.
"Bon, je vois que t’as de quoi t’occuper. Je t’emprunte l’autre, j’ai de quoi lire moi aussi."
Toujours absorbée, elle ne tourna pas la tête vers lui mais hocha la tête.
"Ça marche à plus tard Wade."
Il quitta donc la renardière, le livre le plus important d’Ewilem sur le dos. La tournure que prenait son petit voyage lui plaisait décidément beaucoup.

           Ce soir là, Wade ne dormi effectivement pas beaucoup. Il avait avalé quelques centaines de pages du recueil de la ville en testant tous les endroits de sa maison en tant que coin lecture. Pour l’instant, il s’était établi en tailleur sur le plan de travail, l’ouvrage sur les genoux. Il n’était pas un lecteur rapide et pour garder au mieux sa concentration, il changeait de position régulièrement. Il s’était bouffé toute la partie sur la naissance d’Ewilem, des autres cités et quelques recherches sur les humains. Au moins, il savait maintenant que le produit qui les avait rendus polymorphes venait d’une usine des humains. De ce qu’on savait, ils étaient en pleine recherche sur un antidote pour les sauver d’un virus qui les terrassait. Mais l’usine explosa et libéra dans l’air cette substance que les premiers shapeshifters inhalèrent. Dans le tas, se trouvaient les parents de Rainyd qui participèrent à bâtir ce qu’on appelait maintenant Ewilem. Au départ, la capitale n’était qu’un tas d’abris, de tentes et de shapeshifters affolé essayant de s’habituer à leurs nouvelle condition. Mais ceux là avaient compris que l’union faisait la force et il s’organisèrent pour créer le premier conseil. Wade avait lu en diagonale quelques passage qui l’avaient ennuyé mais il était actuellement sur un extrait qui retenait toute son attention.
"Rainyd, Pur Puma. Peau claire, cheveux foncés, yeux bruns. Né le 10 Septembre 11. Actuellement membre du haut conseil d’Ewilem."
Wade se demandait depuis quand l’ouvrage n’avait pas été mis à jour. En tout cas, il n’y avait aucun passage qui faisait mention de sa mort. Dommage, il aurait aimé avoir son nom dans un livre si important. Mais la biographie se poursuivait et Wade se replongea dans sa lecture.
"Fils de Astriel et Despina, fondateurs d’Ewilem. Biographie des batisseurs page 32. Rainyd entame une carrière militaire à l’âge de seize ans, attendant de pouvoir siéger au conseil. Il y entre en Septembre 29 avec comme but de succéder à ses géniteurs.   En 32, il propose une loi visant à regrouper la nouvelle génération d’hybrides et d’anomalies en périphérie. Cette proposition est fortement discutée mais votée à la majorité. En 35, Rainyd suggère une répartition des métiers par ethnie. Le projet passe au courant de l’année et les métiers hauts placés sont désormais inaccessibles aux non-purs. En 41, il joue un rôle important dans la réparation des dégats causés par l’inondation de la ville et devient un membre du conseil populaire. En.."
Wade arrêta la lecture ici. La suite n’était que lois anti-hybride et montée au pouvoir. Et dire que sans son assassin, Rainyd serait peut-être resté à l’état de milicien... Wade ne savait pas bien à partir de quel moment le puma avait commencé à éliminer ses opposants. Il savait que lui même avait succédé à Cassandre en 52 mais aucun moyen de savoir combien d’assassins il y avait eu avant eux, et surtout de quelle façon ils avaient fini. Le tigre eut un petit sourire satisfait. Il était sans aucun doute celui qui avait été le plus malin.

           Wade releva la tête de son livre et se tourna vers la fenêtre. Il faisait encore nuit mais le soleil n’allait pas tarder à se lever. On pouvait commencer à apercevoir des traînées oranges dans le ciel. Il s’étira le dos et se leva, faisant quelques pas dans la pièce pour délier ses muscles. Ce livre lui donnait un tout autre type de se sensation. Il se sentait puissant, mais non pas pour sa force, ses capacité de manipulation ou son statut, non, cette fois c’était par ses connaissances. Il devenait peu à peu lui même une encyclopédie, un de ces rares shapeshifters au courant des mystères qui berçaient leur civilisation. C’est pourquoi, tout en continuant de marcher, il ouvrit de nouveau le recueil pour lire un dernier passage avant de s’arrêter là pour ce soir. Il bailla tout en passant les pages. Il allait s’attarder sur le passage à propos des humains mais finalement, il se décida à feuilleter la partie sur les acteurs politique et militaire d’Ewilem. C’était une suite de noms avec description physique et carrière de ces gens. Wade fit rouler ses épaules pour en faire craquer les articulations. Rester immobile pendant un si long laps de temps le démangeait. Il se mit à parcourir la page, survolant les noms inscrits.
"Loren. Pure Renard. Peau foncée, cheveux noirs, yeux bruns. Entrée en 46 dans.. Selem. Pur Chien. Peau claire, chev.. Adéle..." Wade survolait ces noms qui ne lui évoquaient rien quand il buta sur celui qui résonna dans sa mémoire. "Seon."
Ses deux pieds se plantèrent dans le sol et il relut les lettres.
"Seon. Pur Cheval. Peau claire, cheveux noirs, yeux noirs. Entrée en 47 dans la milice d’Ewilem au rang de simple garde."
Wade fit quelques pas de plus et s’assit sur sa banquette. Il posa le livre et fronça les sourcils. Ces souvenirs l’emportaient dans un coin de sa mémoire qu’il avait enterré. Mais c’était bien ça. C’était bien le nom de ce garçon qu’il avait rencontré à Ewilem lorsqu’il avait 15 ans. C’était bien lui qui lui avait fait découvrir la ville, ouvert de nouvelles perspectives. C’était aussi bien lui qui l’avait regardé avec tant de dégoût et de peur quand il avait compris que Wade était assassin. Et enfin, c’était bien de ce garçon dont il était tombé amoureux pour la première fois.
"En 50 promu responsable de la garnison du quartier de Fer. En 51, mutation sur Aust."
Wade referma le livre et se releva pour continuer de marcher. Son expression s’était durci. Alors Seon avait bel et bien réussi, il était bien passé milicien à Ewilem. A son retour dans la capitale, il lui était arrivé d’y repenser, s’interrogeant sur le fait de ne pas le croiser. Il avait maintenant une explication, Seon se trouvait à Aust. Wade eut un petit sourire en pensant qu’il aurait été possible que Rainyd lui demande de le tuer si ses idées politiques avaient différé de celles du meneur. Enfin, tout ça appartenait au passé et il était bien trop tard pour aller déranger ces fantômes. Wade jeta un regard au livre mais le laissa posé sur la banquette. Il s'étira, tachant de se vider la tête et emprunta le chemin de son lit. Il sema ses vêtements derrière lui, une façon de recréer son iconique bazar qui avait bien sûr disparu. Il se glissa dans les draps frais et ferma les yeux, bercé par le chant des oiseaux qui s'éveillaient au dehors. Mais son matelas lui parut étonnement inconfortable, et bien que la journée ai été riche, le sommeil se fit désirer. Le jeune homme passa quelques heures de plus à cogiter. Et c'était bien la dernière partie de sa lecture qui le maintenait éveillé.